dimanche 09 août 2020, 08:10

Mario Zagallo : "Je me suis senti béni"

À l'occasion de l'anniversaire de Mario Zagallo le 9 août, FIFA.com vous propose de redécouvrir l'interview qu'il nous avait accordée il y a quelques années pour évoquer les titres mondiaux de la Seleçao, notamment celui de 1994.

Impliqué dans quatre des cinq victoires du Brésil en Coupe du Monde de la FIFA, le légendaire Mario Zagallo nous explique pourquoi l'édition 1994 aux Etats-Unis a eu une saveur particulière.

En tant que joueur ou entraîneur vous avez été engagé dans quatre des cinq victoires du Brésil en Coupe du Monde de la FIFA. Pourriez-vous nous parler de vos expériences de la compétition, et plus particulièrement d'Etats-Unis 1994 ? Pouvez-vous nous dire en quoi cette édition était différente des autres ?

La différence ne venait pas de nous. Selon la presse brésilienne, nous ne nous inscrivions pas dans la tradition footbalistique du pays. Mais à cette époque, la compétition était rude et nous avions une bonne équipe, très technique, compétitive. Avant le coup d'envoi de la compétition, beaucoup ont prétendu que les équipes qui représentaient le mieux le football brésilien étaient l'Argentine et la Colombie... Mais nous possédions nos propres idées du football moderne. Contrairement à ce que tout le monde pensait à l'époque, empêcher les autres équipes de jouer n'en faisait pas partie. Je préférerais d'ailleurs ne pas en entendre parler. Nous avons opté pour le marquage en zone et comptions sur des joueurs de haut niveau, avec Romario, Bebeto, Leonardo, Cafu et Branco. Sur le plan technique, il n'y avait rien à redire. Mais la presse n'était pas de cet avis et attendait autre chose de la sélection du Brésil. Quoi qu'il en soit, nous avons fini par prouver que nous avions raison. Nous avons suivi la bonne voie et remporté la Coupe du Monde 1994.

Selon Carlos Alberto Parreira, les matches contre les Etats-Unis et les Pays-Bas ont constitué les grands tournants de votre campagne. Est-ce aussi votre avis ?

Tout à fait. Il faut savoir qu'à chaque fois que nous affrontions les Etats-Unis, à l'époque, les résultats étaient toujours très serrés, et ce bien que notre équipe soit largement supérieure à la leur. Je ne pourrais pas vous expliquer pourquoi. Or justement pendant ce match de Coupe du Monde, nous avons perdu un joueur. En essayant de se démarquer, Leonardo a balancé son coude dans le visage d'un Américain, ce qui lui a valu d'être exclu. Nous nous sommes retrouvés à dix, ça n'a pas été facile. Heureusement, ça n'a pas affecté l'équipe, qui a continué comme si elle comptait onze joueurs.

La rencontre contre les Pays-Bas a-t-elle été plus déterminante encore ?

C'était un match important, difficile. Nous avons mené 1-0, puis 2-0, et je commençais à me détendre sur le banc, pensant que nous étions à l'abri. Mais nous avons concédé deux buts sur deux balles arrêtées : un corner et une touche. A 2-2, tout pouvait arriver. Heureusement, nous avons obtenu un coup franc que Branco a exécuté à la perfection. Romario s'est écarté de la trajectoire du ballon, qui a touché le poteau avant d'entrer dans les cages. Nous avons gagné 3-2. Mais je le répète, c'était un match difficile. C'était à qui reprenait l'avantage le premier. Nous avons fait un grand match mais avons vécu aussi une belle frayeur.

Ce match a nécessairement renforcé la confiance de l'équipe pour la finale. Malgré tout, gardiez-vous en tête ces 24 ans de pénurie ?

Sans aucun doute. Cela étant, le Brésil avait toutes ses chances. Notre équipe était bien plus complète que l'Italie. Je m'en suis rendu compte depuis le banc. Nous aurions voulu plier l'affaire en 90 minutes, mais nous avons dû passer par la prolongation et les tirs au but. L'important, c'est que nous ayons fini par gagner et remporter un nouveau titre.

Quelles ont été les réactions sur le banc lorsque le ballon relâché par Gianluca Pagliuca a rebondi sur le poteau avant de revenir dans ses bras ?

Nous étions déçus, parce que nous pensions tous le voir entrer. Lorsque la balle a rebondi sur le poteau et atterri dans ses bras, j'ai dit aux autres : "La chance n'est pas avec nous aujourd'hui." Parfois, les compétences ne suffisent pas, il faut aussi avoir la chance de son côté. Heureusement, nous avons fini par réunir les deux.

Carlos Alberto Parreira nous a confié qu'il lui manquait un joueur au moment de choisir les tireurs pour l'épreuve de vérité. Romario s'est alors porté volontaire. Vous en souvenez-vous ?

C'est un souvenir si net que j'ai l'impression d'y être. Ce qui est intéressant, c'est que nous nous étions entraînés aux tirs au but, persuadés que la finale pourrait se terminer sur cet exercice. Nous avons donc tous beaucoup travaillé là-dessus, sauf Romario. Il n'aimait pas les penalties et refusait de s'entraîner. Malgré tout, au moment fatidique, il s'est porté volontaire et Parreira l'a inscrit sur la liste. Son tir a ricoché sur la transversale avant d'entrer dans le but.

Qu'avez vous éprouvé au moment de la victoire ?

Je me suis senti béni. J'ai remporté d'extraordinaires victoires et triomphé en Coupe du Monde avec le Brésil, mais cette fois c'était différent. Lorsque j'ai rejoint le staff technique et les joueurs sur la pelouse, nous nous sommes tous étreints et nous sommes mis à prier, comme nous le faisions dans le vestiaire. Sauf que c'était en public, cette fois. Mais n'allez pas croire que c'était programmé, c'était une réaction totalement spontanée.

Qu'avez-vous ressenti en tenant le trophée de la Coupe du Monde de la FIFA dans vos mains pendant la cérémonie ?

C'était un grand moment. Nous le regardions de loin et, soudain, il était tout près. C'est le moment du triomphe. On le touche, on le regarde, on l'admire et on se dit : "C'est le mien." Nous pouvons être fiers que le Trophée Jules Rimet soit resté au Brésil, parce que le nouveau change de domicile tous les quatre ans, au gré des résultats de la compétition, pour que tous les pays aient une chance de l'accueillir. Cet objet est tellement précieux ! Je dis toujours que la Coupe du Monde est une histoire de sang, de sueur et de larmes. Le sang à cause de toutes les blessures qu'on se fait sur le terrain. La sueur, parce qu'on sue pendant 90 minutes, voire plus en cas de prolongation. Quant aux larmes, ce sont des larmes de joie, pas de tristesse.

Lorsque vous regardez le Trophée en faisant abstraction de ce qu'il représente pour le football, y voyez-vous une œuvre d'art ?

Sans aucun doute. Il est magnifique.

Quelle est l'importance de la Coupe du Monde de la FIFA dans l'ensemble de votre carrière ?

Dans le sport, tout le monde cherche à gagner. J'ai eu la chance d'être sacré champion du monde quatre fois avec le Brésil, dont deux fois en tant que joueur sous le maillot auriverde que j'aime tant. La Coupe du Monde m'a apporté beaucoup de bonheur et fait verser beaucoup de larmes. Elle est tout pour moi.

Les rôles se sont inversés en 1998, lorsque vous avez eu la déception de vous retrouver du côté des perdants. Qu'avez-vous ressenti ?

La France a remporté sa première couronne mondiale, largement méritée. J'applaudis les Français pour leur réussite. Bien sûr, la forme physique de Ronaldo nous a posé un gros problème, mais il a tout de même joué. Ça n'enlève rien à la sublime victoire d'Aimé Jacquet. C'est une bonne opportunité pour moi de féliciter cette grande équipe de France.

Quel message voudriez-vous transmettre à Aimé Jacquet ?

Voilà une belle occasion de parler de l'entraîneur qui a remporté la Coupe du Monde 1998 contre mon équipe. Je suis au courant de ce qui s'est passé. Aimé Jacquet a fait les frais de beaucoup de critiques de la part des médias, mais il a su garder une attitude digne et rester franc. Il a entièrement assumé sa charge et a prouvé qu'il savait ce qu'il voulait : que l'équipe qu'il avait formée remporte la finale. La France avait un génie du football sur son banc, Aimé Jacquet, et un autre encore plus talentueux sur la pelouse : Zidane.