Alors que le coup d’envoi de la Coupe du Monde de la FIFA 1990™ va être donné dans quelques minutes, le supporter camerounais sur la photo ci-dessus semble esseulé. Il a sûrement pris place dans les travées clinquantes du stade milanais de San Siro, fraîchement rénové, avec plus d’espoir que d’exigences, sachant que son équipe – essentiellement composée de joueurs peu connus – est sur le point d’affronter les champions du monde du grand Diego Maradona.
Même les joueurs camerounais donnent l’impression de s’être déjà résignés à leur sort, à l’image des déclarations d’avant-match plutôt pessimistes de l’attaquant François Omam-Biyick, l’un des nombreux éléments du groupe à évoluer dans les divisions inférieures françaises. "L’écart entre les deux équipes est trop important", concède-t-il. "Je ne crois pas aux miracles." Joseph-Antoine Bell a dressé un tableau encore plus sombre. Le gardien de but a été écarté après avoir confié à un journal que son pays n’avait "aucune chance de rivaliser avec l’Argentine, ni aucune autre équipe" et qu’il serait "sorti sans gloire dès le premier tour".
Ils ne pouvaient évidemment pas être plus loin de la vérité. Omam-Biyik, l’homme qui ne croyait pas aux miracles, a même offert lui-même une victoire improbable aux Africains, tandis que le supporter au drapeau de cette image s’est finalement retrouvé plus entouré qu’il ne l’aurait imaginé. La plupart des spectateurs étaient venus voir évoluer le numéro 10 argentin, mais tout San Siro n’était pas pour autant prêt à lui dérouler le tapis rouge. Le Naples de Maradona venait après tout de décrocher le Scudetto au détriment de l’AC Milan et l’Argentin a reconnu plus tard que sa présence a poussé "le stade entier à soutenir le Cameroun".
La défaite 0-1 de l’Albiceleste reste l’une des plus grandes surprises de l’histoire du tournoi. Carlos Bilardo la décrit même comme "le pire moment de sa carrière". Même si le sélectionneur argentin a de nouveau conduit son équipe jusqu’en finale en Italie, il se souvient bien des conséquences de ce match d’ouverture abandonné aux modestes Africains. "Tout le monde m’a appelé pour me dire ce que j’avais à faire", raconte Bilardo. "J’ai été contacté par le président Carlos Menem, deux anciens présidents et le leader de l’opposition."
Mais alors que les hommes politiques et les commentateurs du pays s’en prenaient aux choix du sélectionneur et au jeu physique des Camerounais, la star argentine est restée digne dans la défaite. "Je ne crois pas qu’ils aient eu la moindre intention de nous faire mal pour remporter ce match", affirme Maradona. "Il n’y a rien à redire, aucune excuse. Si le Cameroun a gagné, c’est parce que c’était la meilleure équipe." Les Lions Indomptables, de leur côté, ont su garder la tête froide après avoir fait tomber une si grosse proie. "Ne nous prenez pas pour des héros", demande ainsi Stephen Tataw à l’issue du match. "Nous sommes une petite équipe, avec de petits moyens. Je ne m’attends toujours pas à ce que nous atteignons le second tour."
Quart de finaliste, le Cameroun aura pourtant été au-delà des modestes attentes de ses joueurs - plus loin qu’aucune autre équipe africaine avant lui -, s’attirant au passage la sympathie des supporters les plus neutres. Bien qu’Omam-Biyik n’ait plus jamais marqué de but aussi important que ce coup de tête victorieux contre l’Argentine à San Siro, il hésite aujourd’hui à en faire le plus grand souvenir de sa carrière. "Il en fait partie", confie-t-il. "Mais le plus grand souvenir, si je peux voir plus large, est l’expérience formidable que nous avons vécue en Italie, dans toute sa globalité."