A l'occasion de l'anniversaire de Paul Breitner le 5 septembre, FIFA.com vous propose de redécouvrir une interview que le champion du monde allemand, légende de la Mannschaft, nous avait accordée en 2007, le trophée mondial dans les mains.
Vous avez connu de nombreux succès en Coupe du Monde de la FIFA. Quels souvenirs gardez-vous de ces expériences et de la conquête du titre mondial en 1974 ?
J'y repense souvent, car cette première Coupe du Monde en Allemagne en 1974 a véritablement changé le cours de mon destin. Cette année-là, nous sommes devenus champions du monde et j'ai marqué un penalty en finale. Sans cette compétition, je crois que ma vie aurait été bien différente.
Je n'avais pas fait le voyage en Argentine en 1978, la Coupe du Monde 1982 en Espagne devait constituer l'apogée de ma carrière. J'ai joué au Real Madrid de 1974 à 1977 et j'ai vécu trois années inoubliables en Espagne avec ma famille. Le fait que la compétition se déroule dans un pays auquel j'étais très attaché a évidemment joué un rôle important pour moi. J'étais bien décidé à briller et, même si nous n'avons pas gagné, nous sommes tout de même arrivés en finale.
Revenons un instant sur ce tournoi. Comment l'avez-vous vécu ? Et quels souvenirs gardez-vous de votre courte défaite en finale contre l'Italie ?
Tout d'abord, laissez-moi vous dire que nous avons été nettement battus 1-3 par l'Italie. C'était dur, mais prévisible. Nous avions joué le jeudi soir à Séville contre la France. Il y a eu la prolongation et les tirs au but, puis nous avons dû rentrer à Madrid dans la nuit. Finalement, nous sommes arrivés à l'hôtel à six heures du matin le vendredi et nous avons encore dû attendre une demi-heure avant de pouvoir manger. En raison d'une grève à l'aéroport de Séville, on ne nous avait rien servi la veille après le match.
En avalant notre "dîner" ce matin-là, nous avons vite compris que nous n'avions aucune chance de l'emporter le lendemain. Notre seule chance était d'ouvrir rapidement le score et de défendre cet avantage le plus longtemps possible. Nous savions que si les Italiens marquaient les premiers, tout serait fini pour nous. Ils avaient joué le mercredi contre la Pologne et s'étaient tranquillement reposés pendant que nous nous battions contre la France. Nous ne nous faisions pas d'illusions à l'heure d'entrer sur le terrain et, malheureusement, nos craintes se sont révélées fondées.
Comme souvent, nous avions mal entamé cette compétition. Cela avait déjà été le cas en 1974, lorsque nous étions devenus champions du monde, mais aussi en 1978. D'une manière générale, l'Allemagne met du temps à rentrer dans un tournoi. Nous essayons de progresser à chaque match. Au premier tour, nous étions opposés à des équipes relativement modestes. Il fallait donc hisser progressivement notre niveau de jeu de façon à aborder le deuxième tour à notre meilleur niveau.
C'est dans cet état d'esprit que nous sommes arrivés en Espagne. Nous avons débuté par une défaite 1-2 contre l'Algérie, avant de battre le Chili 4-1. Et puis, il y a eu le match à Gijón contre l'Autriche. Je ne veux pas trop en parler. Disons simplement qu'il arrive souvent que les deux équipes baissent de rythme si le score convient à tout le monde après 70 minutes de jeu. Cette fois-ci, tout le monde s'est relâché avant même la mi-temps, ce qui n'était sans doute pas très élégant.
Ce match nous a poursuivis pendant toute la compétition. Nous avions laissé une mauvaise impression, jusqu'à cette extraordinaire victoire aux tirs au but contre la France, en demi-finale à Séville. Ce match fut une rédemption pour nous. Enfin, nous montrions de quoi nous étions vraiment capables. Cette rencontre fait certainement partie des trois ou cinq meilleurs matches de l'histoire de la Coupe du Monde. Cela a vraiment changé notre image. Sur un match, nous avions les moyens de surprendre l'Italie, mais les circonstances ne nous ont malheureusement pas permis d'exprimer toutes nos qualités.
La fatigue vous a donc coûté cher ?
Exactement. Nous étions épuisés et nous ne pouvions soutenir le rythme imposé par les Italiens. Quand ils ont pris l'avantage, nous n'étions déjà plus en mesure de les mettre en difficulté. Pour cela, il nous aurait fallu passer à la vitesse supérieure, mais la fatigue a eu raison de nous.
Vous souvenez-vous de cette équipe italienne ? Y a-t-il un joueur en particulier qui vous avait impressionné ? Quel genre d'équipe était-ce ?
Ces joueurs-là n'étaient pas méchants. Contrairement à certaines équipes latines, qui n'hésitent pas à durcir le ton dans les matches décisifs, l'Italie n'a jamais triché. C'était une équipe équilibrée, qui ne prenait pas beaucoup de risques et qui, à l'instar du Bayern Munich ou de l'Allemagne, misait beaucoup sur le talent d'un seul homme, Paolo Rossi.
Tout lui réussissait. Franchement, je ne crois pas que l'Italie aurait atteint les demi-finales ou même les quarts de finale sans lui. Comme Gerd Müller, il pouvait marquer à n'importe quel moment. Il fut incontestablement le grand artisan du triomphe italien. Les autres joueurs étaient talentueux, ils pratiquaient un bon football, mais en dehors de Paolo Rossi, cette équipe n'avait rien d'exceptionnel.
Vous voulez dire que cette équipe d'Italie était l'équipe d'un seul homme ?
Il émanait de cette équipe une solidarité et un sens du sacrifice qu'on ne retrouve que rarement dans une formation latine. Peut-être que les Italiens s'étaient rendu compte que, pour gagner, ils devaient oublier leur ego. Aujourd'hui encore, les Espagnols, les Italiens ou les Portugais ont tendance à négliger le résultat. Tout ce qu'ils veulent, c'est montrer qu'ils sont capables de dribbler trois joueurs au mètre carré. Si on les laissait faire, ils prendraient le ballon, l'enverraient dans les tribunes, fileraient sous la douche et reviendraient vous dire : "T'as vu ? Je suis le meilleur !" Mais cette équipe italienne était différente. Le temps d'un tournoi, les joueurs n'ont plus pensé à faire le spectacle ou à amuser la galerie. Sur le terrain, j'ai vu une équipe qui pensait, qui travaillait et qui jouait comme l'Allemagne. Tous les joueurs se sont donnés à fond pour gagner cette Coupe du Monde.
Quel a été votre plus grand adversaire en Coupe du Monde de la FIFA ?
Tant que j'étais au sommet de ma forme, je n'ai jamais véritablement eu de problèmes sur le terrain. Je faisais partie de ces joueurs qui ne s'inquiètent pas trop de savoir contre qui ils joueront le prochain match. Je ne me posais pas beaucoup de questions sur mes adversaires. Dans ma jeunesse, un entraîneur m'a dit : "Plus tu te concentres sur ton adversaire, plus tu penses à lui et moins il te reste de place dans ta tête pour te concentrer sur ton jeu. Oublie ce qui risque de te paralyser. Si tu es bien dans ton match, c'est lui qui devra se soucier de toi. Tout dépend de toi et de ton équipe. Et si tu n'es pas dans un bon jour, tu as encore moins de chance de t'en sortir si tu perds ton temps à te demander ce que va faire ton adversaire". Quand j'étais défenseur, il m'arrivait de tomber sur des joueurs qui étaient meilleurs que moi ce jour-là. Ensuite, quand je jouais milieu de terrain au Real Madrid, on mettait parfois un "chien de garde" sur moi, quelqu'un dont la seule mission était de m'empêcher de jouer. Si je n'arrivais pas à prendre le dessus, alors je devais m'avouer vaincu.
Je me souviens pourtant d'un match que nous avons gagné contre une équipe qui était clairement meilleure que nous. C'était sans doute la plus forte de la compétition, même si elle n'a jamais gagné la Coupe du Monde. Je parle de la Pologne de 1974. Nous nous étions imposés 1-0 en demi-finale à Francfort, sous des trombes d'eau, et je suis certain que nous n'aurions jamais gagné sans ces circonstances. A l'époque, la Pologne possédait une équipe soudée et bien structurée qui me rappelait l'Allemagne de 1972. Une formation qui avait réussi la symbiose parfaite entre les artistes, les techniciens, les guerriers, les jeunes et les vieux. Cette équipe était en harmonie et produisait un football fantastique.
Cette équipe de Pologne était vraiment hors du commun. Malheureusement, elle comptait dans ses rangs trois ou quatre joueurs qui n'étaient pas faits pour jouer dans de telles conditions. J'appelle ça des "joueurs de beau temps". Pour nous, il était capital de battre cette Pologne qui était plus forte que nous, que les Pays-Bas, que le Brésil ou même que n'importe qui d'autre. En 1974, la Pologne était vraiment la meilleure équipe au monde.
Pourtant, les gens parlent souvent de l'équipe des Pays-Bas et rarement de la Pologne.
Vous avez raison. On dit aussi que le penalty que j'ai marqué en finale était le but le plus important de ma carrière. J'ai inscrit trois buts en 1974 et le plus important était certainement celui que j'ai marqué au premier tour contre le Chili à Berlin. Nous avons gagné 1-0 et c'est autour de ce succès que l'équipe s'est construite. C'est ce qui nous a permis d'aller plus loin.
Sans ce but, il n'y aurait jamais eu le penalty de la finale. Je ne suis pas du genre à refaire l'histoire, mais je peux vous assurer que la meilleure équipe de la Coupe du Monde 1974 n'était pas en finale. Il ne s'agissait ni de l'Allemagne, ni des Pays-Bas. Je sais que les Néerlandais pensent qu'ils méritaient de devenir champions du monde ce jour-là, qu'ils étaient les plus forts. Ils oublient un peu vite la Pologne, qui a échoué en demi-finale.
Quelle était l'ambiance en Allemagne en 1974 ? Vous jouiez devant vos supporters et la finale a eu lieu chez vous, à Munich. La pression devait être terrible.
Gerd Müller a dit : "Nous n'en savions rien, car nous étions protégés de toute cette agitation". Il y a deux façons de voir les choses. Ceux qui ont joué au Bayern sont habitués à vivre avec la pression. Les gens se servent souvent de la pression comme une excuse, mais ce n'était pas un vain mot pour nous. En signant au Bayern, il faut bien comprendre qu'on s'attend à vous voir gagner tout le temps; Il faut exceller chaque jour sur le terrain, comme dans n'importe quelle autre profession. Pour moi, ce n'est pas ça, la pression.
Quand je dispute une Coupe du Monde avec l'Allemagne, c'est la même chose. La vraie pression, c'est l'exigence que l'on a vis-à-vis de soi-même. Je dois dire qu'en 1974, l'hystérie n'avait rien à voir avec ce que l'on connaît de nos jours. Le football n'était pas encore cette grand-messe, ce spectacle permanent auquel nous assistons aujourd'hui. Les affluences ont connu une augmentation spectaculaire ces dernières années. Ce n'est pas nécessairement parce que le football est meilleur aujourd'hui qu'à l'époque. La demande est simplement différente.
Les jeunes, en particulier, se retrouvent dans cette ambiance. Ils aiment ce sentiment d'appartenance, cette communion, cette idée de faire la fête tous ensemble. Il n'y avait pas tout cela à mon époque. On vivait les choses avec plus de recul. Nous voulions devenir champions du monde et nous savions que ce serait un événement important dans l'histoire de notre pays. Mais nous avons passé l'essentiel de notre temps enfermés à l'école sportive de Malente. Nous sommes donc en quelque sorte passés à côté de l'euphorie qui entoure généralement ce type de manifestation.
Le football occupe-t-il trop de place dans les médias ? Peut-on voir "trop de football"?
Les gens disent tout le temps : "Il y a trop de football à la télé, ça suffit !" Il y a 30 ans de cela, j'avais dit que le jour viendrait où il y aurait 24 heures de football par jour à la télévision. Prenez la population allemande, par exemple. Il y a dans ce pays 35 à 40 millions de passionnés de football et, parmi eux, 20 à 25 millions qui consacrent tout leur temps libre au football. Quand ils rentrent à la maison, ces gens-là veulent voir du football, pas des débats politiques, des talk-shows ou des feuilletons.
En dehors des choses du quotidien comme manger, boire, le travail et la famille, le football est le sujet numéro 1, 2, 3, 4, 5... devant tout le reste ! Aujourd'hui, le football est bien représenté dans les médias et il le sera encore davantage à l'avenir.
Quel regard portez-vous sur votre défaite face à la RDA ? Ce match a-t-il été vécu comme un affront en RFA ?
Pas en ce qui nous concerne, en tout cas. Nous avons perdu 0-1 à Hambourg contre la RDA. C'est regrettable, comme toutes les défaites, mais cela ne signifiait rien de particulier pour nous, en tant que footballeurs. Les joueurs ne s'intéressent pas trop à la politique et, pour nous, la RDA était un pays comme un autre, surtout pour ceux d'entre nous qui ne connaissaient personne à l'Est. Quand on me parlait de nos frères et sœurs de l'autre côté du mur, en tant que Bavarois, cela ne m'évoquait rien du tout. D'autant plus que, pour nous, au lycée, l'histoire s'arrêtait en 1918. On ne tenait pas vraiment à parler de ce qui s'était passé ensuite.
Pour moi, nos frères et nos sœurs, c'était plutôt les Suisses ou les Autrichiens. Je me sentais proche d'eux. Mais les Allemands de l'Est... j'en ai peut-être rencontré quelques-uns quand nous avons joué en RDA avec le Bayern, mais c'était la même chose que si nous étions à Moscou, à Kiev, à Prague, à Budapest ou n'importe où ailleurs en Europe de l'Est, que ce soit en sélection ou en Coupe d'Europe. Donc, pour nous, il s'agissait là d'un match comme un autre, que nous avons perdu. Pour notre troisième sortie, nous n'avions pas encore établi notre équipe type. En outre, tout le monde n'était pas encore au meilleur de sa forme. Cela a suffi à faire la différence. Je sais que les politiciens et le grand public ont vu un symbole dans ce match, mais cela nous a complètement échappé.
Vous dites qu'il s'agissait d'un match comme un autre. Vous n'y avez plus repensé par la suite, ou bien cette rencontre a-t-elle joué un rôle pour vous dans ce tournoi ?
Le match a tout de même eu son importance, car nous nous sommes retrouvés dans une situation périlleuse. Nous étions bien obligés d'admettre que nous étions assez loin de nos ambitions. La défaite contre la RDA a poussé Helmut Schön et Franz Beckenbauer à discuter. Par la suite, Schön s'est entretenu avec d'autres joueurs. Nous sommes repartis sur de meilleures bases. Alors que nous n'étions jusque-là qu'à 50 % de nos capacités, nous sommes passés à 90 % au moment d'affronter la Yougoslavie. Il y a eu une prise de conscience après cette défaite. Cela n'avait rien à voir avec la RDA, mais nous avions honte de notre performance. Un tel match était indigne de la Coupe du Monde et il n'était pas question pour nous de quitter la compétition sur une si mauvaise note.
Il fallait absolument nous faire pardonner. Nous devions nous racheter pour pouvoir nous regarder en face. La Yougoslavie avait les moyens de nous éliminer, mais il n'était pas question que cela arrive. Alors, nous avons fait quelque chose que nous avions appris au Bayern. Nous avons tapé deux ou trois fois du pied par terre et nous nous sommes dit : "Ok, tu t'es mis tout seul dans le pétrin. Il faut que ça change, et vite !" Nous avons trouvé des solutions et c'est sans doute là qu'est née l'équipe qui allait devenir championne du monde.
Vous avez inscrit un très beau but contre la Yougoslavie. Est-ce le meilleur que vous ayez réussi dans ce tournoi ?
C'était certainement le plus jouissif. Celui contre le Chili doit beaucoup au gardien, qui a attendu que le ballon soit au fond des filets avant de bouger. C'était une frappe extraordinaire, mais la balle a mis tellement longtemps à parcourir ces trente mètres que j'ai eu le temps de croiser les doigts avant qu'elle ne retombe dans le but ! Ce n'est qu'une fois que le ballon a franchi la ligne que le gardien s'est décidé à bouger. C'était un but important, mais celui contre la Yougoslavie était bien plus beau.
Comment avez-vous vécu la finale ? Le fait de voir les Néerlandais ouvrir le score alors que vous évoluiez devant votre public a dû vous faire un choc.
En quelque sorte... mais quand on parle de finale à domicile, il faut quand même se souvenir de l'ambiance qui régnait dans le stade. Dans les tribunes, la couleur orange dominait nettement. Beaucoup de billets étaient partis à l'étranger et nous n'avions pas vraiment l'impression de jouer à domicile. Pourtant, il s'est passé quelque chose d'important. Nous avons encaissé ce penalty de Johann Neeskens dès la première minute de jeu. Ça a été un tournant du match car, ensuite, les Néerlandais n'ont plus pensé qu'à nous ridiculiser. C'est toujours le cas aujourd'hui.
Les Pays-Bas obtiennent de bons résultats contre la plupart des équipes. Mais s'ils jouent contre l'Allemagne et qu'ils marquent le premier but, ils ne cherchent plus qu'à nous faire courir. Au lieu d'enfoncer le clou, ils veulent à tout prix prouver à quel point ils sont forts et à quel point nous sommes mauvais. Ils ne peuvent pas s'en empêcher et, ce jour-là, ça leur a coûté une Coupe du Monde. Nous étions motivés, nous voulions réussir quelque chose et au bout d'une minute seulement, nous étions menés au score. C'était un coup de massue dont nous n'aurions jamais dû nous remettre.
Ils auraient dû finir le travail. Quand un boxeur envoie son adversaire dans les cordes, il essaye d'en profiter. Mais, apparemment, les Néerlandais n'avaient pas les ressources mentales pour cela. Je crois qu'ils n'ont pas compris la situation. Ils nous ont laissés respirer cinq minutes, et cela nous a donné le temps d'accepter la réalité, de nous remettre de notre déception et de notre colère. Ils ne se sont pas rendus compte que, petit à petit, nous revenions dans le match. Mon penalty et le but de Gerd Müller juste avant la pause sont la conséquence directe de l'arrogance et de la négligence des Néerlandais. Nous nous sommes rendus compte qu'ils nous avaient laissé revenir dans le match. Tout à coup, nous avions à nouveau toutes nos chances. Et cette chance, nous l'avons saisie. Les Pays-Bas ont bien tenté de réagir après la pause, mais le football a ses propres lois. La victoire avait changé de camp. En exagérant un peu, on pourrait dire que les Néerlandais n'auraient jamais marqué ce deuxième but, même si nous avions continué à jouer jusqu'à aujourd'hui.
Parlez-nous donc de ce penalty. Vous êtes allé chercher le ballon et vous l'avez déposé au point de penalty. Aujourd'hui encore, on raconte que vous avez pris le ballon et que vous avez tiré sans vous poser de questions. Comment cela s'est-il passé en réalité ?
Avant le début du tournoi, nous avions discuté de savoir qui tirerait les penaltys. Personne ne voulait y aller. Gerd Müller en avait manqué quelques-uns en championnat et personne ne s'est avancé pour dire : "C'est bon, je m'en occupe". Personne ne voulait prendre cette responsabilité. Nous en avions pourtant discuté à Malente, puis avant le match contre le Chili. Mais personne ne se décidait. Je n'avais pas tellement pris part aux discussions, car cette situation m'énervait. J'avais l'impression que tout le monde espérait que nous n'aurions pas de penalty, ce qui aurait réglé la question. Alors je leur ai dit : "Je veux bien en tirer cinq par match, si ça peut nous faire devenir champions du monde !" Le problème s'est de nouveau posé avant la finale. Uli Hoeness avait marqué sur penalty contre la Suède, mais il avait échoué en demi-finale contre la Pologne. A la veille d'une finale de Coupe du Monde, nous étions toujours dans la même situation.
La finale était programmée vers quatre heures de l'après-midi. A onze heures, nous avions prévu un dernier entraînement. Une fois de plus, Helmut Schön pose la question : "Bon, alors qu'est-ce qu'on fait si on obtient un penalty ?" Comme d'habitude, personne n'a rien dit. J'ai eu comme un déclic et j'ai pensé : "C'est pour moi". A la fin de la séance, Helmut Schön nous annonce : "Bon, on pourra encore en discuter dans les vestiaires". Ça me semblait surréaliste. A cinq minutes du coup d'envoi d'une finale, nous ne savions pas qui allait tirer les penaltys. Il a encore posé la question une dernière fois, mais personne n'a répondu.
Au bout du compte, il a dit : "Ok, si jamais le cas se pose, on décidera à ce moment-là. Il arrive souvent qu'en cas de penalty, l'entraîneur et le capitaine désignent un joueur pour le tirer". Mais on ne peut pas procéder ainsi dans un match de cette importance. On ne peut pas imposer une telle responsabilité à quelqu'un. Cela ne sert à rien, personne ne peut réussir dans de telles conditions. J'ai encore éprouvé le même sentiment et il s'est passé quelque chose sans que je m'en rende compte. Quand l'arbitre a sifflé le penalty, toutes ces pensées sont revenues d'un coup à la surface. Je me suis dit : "Tu peux le faire, prends tes responsabilités !" Je me sentais bien, alors j'ai été chercher le ballon et je l'ai posé sur le point de penalty. Après ça, je n'ai plus pensé à rien. J'ai très vite appris à me concentrer dans les moments importants. Je savais parfaitement que les gens qui veulent profiter de ce type de situation pour devenir des héros sont généralement ceux qui échouent.
Je ne pensais plus qu'au ballon, à ce moment-là. Wolfgang Overath m'a raconté plus tard qu'il était venu vers moi et qu'il m'avait demandé : "Tu veux y aller, Paul ?" Je lui ai répondu : "Ecarte-toi, celle-là, je la mets au fond !" Je me suis reculé et j'ai vu que le gardien faisait un pas de côté pour m'inciter à tirer sur sa droite. Il avait déjà déplacé le poids de son corps pour bondir de ce côté, alors j'ai su qu'il fallait tirer sur la gauche. Tout ce que j'avais à faire, c'était de cadrer ma frappe. On a ensuite beaucoup parlé de mon sang-froid et de mes nerfs d'acier.
Pourtant, les choses ne se sont pas passées comme cela. Je ne me suis pas rendu compte de grand-chose. Il me fallait une concentration parfaite pour réussir. Il ne faut surtout pas réfléchir, car c'est la meilleure façon de perdre ses moyens, dans de telles circonstances. C'est ce qui s'est passé pour Johan Neeskens : il a été décontenancé parce qu'il n'était pas prêt mentalement. Il ne s'attendait pas à devoir tirer un penalty si tôt dans le match et il n'a pas bien pris le ballon au moment de tirer. Moi, j'étais prêt. Tout s'est passé comme dans un film. Et quand le ballon a terminé au fond des filets et que les Néerlandais ont donné l'engagement quelques secondes plus tard, j'étais à nouveau dans le match.
Qu'avez-vous ressenti en voyant ce but pour la première fois à la télévision ?
La finale a eu lieu le dimanche après-midi. Ma femme et moi, nous sommes rentrés à la maison le lendemain, vers huit heures, après une longue fête. Je me suis installé sur le sofa du salon et j'ai allumé la télévision, histoire de décompresser. A dix heures, la télévision autrichienne rediffusait la finale. J'ai regardé le match du coin de l'œil, jusqu'à ce que l'arbitre siffle ce fameux penalty en notre faveur.
Je me vois sortir du cadre et revenir quelques secondes plus tard avec le ballon dans la main gauche avant de me diriger vers le point de penalty. Pendant un moment, j'ai senti une sueur froide me couler dans le dos. J'ai éteint la télévision et je suis allé me promener dans les bois pendant une demi-heure, trois quarts d'heure. J'ai dit à ma femme : "C'est complètement fou !" C'est à cet instant que je me suis rendu compte de ce que j'avais fait. Les pensées ont commencé à se bousculer dans ma tête. Je me suis mis à imaginer tout ce qui aurait pu se passer si les choses avaient été différentes.
Vous venez de dire que les Pays-Bas n'auraient jamais égalisé, même si le match avait duré une éternité. A quel moment avez-vous senti que la victoire ne pouvait plus vous échapper ? Quand l'arbitre a donné le coup d'envoi après mon penalty, nous avons tout de suite ressenti l'effet que cette égalisation avait eu sur nous. A ce moment, j'ai su que nous allions gagner.
Avant même d'avoir pris l'avantage ? Oui. Pour moi, le match s'est joué à 1-1.
Qu'avez-vous ressenti en entendant l'arbitre siffler le coup de sifflet final ? Quel effet cela fait-il de se dire : "On a gagné la Coupe du Monde ! Le monde entier nous regarde, nous avons réussi quelque chose d'exceptionnel" ? Dans certains cas, quand la joie ou la tristesse sont trop intenses, personne ne peut comprendre ce que vous ressentez. Je crois que le bonheur est par nature éphémère. Quand le bonheur frappe à la porte, il faut se concentrer sur ce que l'on ressent. Je dois dire que cette émotion fut l'une des plus longues et des plus durables de ma vie. Dès le début de la deuxième mi-temps, nous avions commencé à regarder l'heure toutes les deux ou trois minutes. Dans ces moments-là, le temps passe très lentement. Le dernier quart d'heure fut particulièrement pénible. J'avais l'impression que les aiguilles s'étaient arrêtées !
Je n'ai jamais réussi à décrire ce que j'ai ressenti quand l'arbitre a sifflé la fin du match, même à ma femme ou à ma famille. En cas de deuil, on ne ressent peut-être que 70 ou 80 % de la douleur des proches. C'est la même chose dans les moments de joie intense. C'est quelque chose d'exceptionnel. Un bonheur intense, une joie énorme, une satisfaction totale. Je me suis dit : "Quand tu étais jeune, tu t'es entraîné tous les jours pendant cinq ans, qu'il pleuve ou qu'il vente. Voilà ta récompense". Cette récompense, je l'avais gagnée sur le terrain.
Que s'est-il passé lorsque vous avez tenu le trophée de la Coupe du Monde pour la première fois ? A ce moment, la joie la plus intense est déjà passée. Quand l'arbitre a sifflé la fin du match, nous sommes tombés dans les bras les uns des autres, nous avons dansé de joie. Ces quelques instants sont inoubliables. Ensuite, nous nous sommes calmés et nous avons vécu cette remise de prix différemment. Tenir le trophée entre ses mains, c'est quelque chose de différent.
Ce trophée évoque-t-il tout de même des souvenirs ? J'ai deux petites copies à la maison, qui m'ont été offertes par la DFB. Mais je dois dire que je n'ai jamais joué pour les médailles ou les honneurs, toujours pour moi-même. Je l'ai fait pour gagner, pour le sentiment du devoir accompli et pour donner du plaisir aux spectateurs. J'ai voulu faire honneur aux supporters et exceller dans mon métier. Pas besoin d'une coupe pour éprouver la joie d'être champion du monde. Ce n'est qu'un symbole qui permet aux autres de se rappeler. Je sais que ce trophée a beaucoup de valeur pour d'autres, mais pas pour moi. Je ne me souviens pas vraiment de ce que j'ai ressenti en le touchant. Le coup de sifflet final reste le plus beau moment pour moi.
Cet objet doit symboliser à lui seul le concept de champion du monde. Celui qui tient ce trophée est le meilleur dans sa partie, tout simplement. C'est un symbole, rien de plus. Et les symboles, qu'il s'agisse de trophées, de drapeaux ou d'autre chose, n'ont pas à être beaux. Ce qui compte, c'est leur signification.