Avant de devenir Zizou, la star planétaire du football auréolée de titres multiples en tant que joueur puis en tant qu’entraîneur, Zinedine Zidane a été Yazid. A ses débuts de footballeur, à l’AS Cannes, tous ceux qui le côtoyaient l’appelaient ainsi. C’est comme ça que son entraîneur de l’époque, Guy Lacombe l’appelle encore aujourd’hui. Il avait fait éclore Zidane au centre de formation azuréen, il y a près de 30 ans.
En charge de la formation des cadres techniques à la Fédération Française de Football, le technicien aveyronnais a retrouvé Zidane parmi ses élèves, dans son cursus pour devenir entraîneur, il y a deux ans. Il l'a accompagné dans cette voie. Autant dire que Lacombe est un personnage clé dans le parcours du natif de Marseille. Mais c’est réciproque. Entretien.
M. Lacombe, vous avez intégré la DTN (Direction Technique Nationale) en 2013. Quelles fonctions y occupez-vous ? Je suis responsable de la formation BEPF (brevet d'entraîneur professionnel de football). Le BEPF est le diplôme délivré aux futurs entraîneurs professionnels. Cette formation concerne des entraîneurs en poste ou non. Elle a beaucoup évolué, notamment grâce au système de tutorat qui permet un suivi individuel du stagiaire. Il y a beaucoup d’échanges avec le stagiaire, c’est une aventure très enrichissante autant pour l’élève que pour nous.
C’est dans ce cadre que vous avez recroisé la route de Zinedine Zidane, 30 après l’avoir côtoyé à Cannes. Êtes-vous surpris de le retrouver aujourd’hui parmi les finalistes pour le titre d’Entraîneur de l’Année ? Au vu de son parcours en 2016, non ! Mais si on m’avait demandé de pronostiquer cela il y a deux ans, j’en aurais été incapable ! Mais cela fait partie du charme de notre métier. Il y a des révélations. Entraîner n’a pas été une évidence pour lui. Il a longtemps réfléchi, un peu tâtonné. Il est d’abord devenu l’adjoint de José Mourinho puis de Carlo Ancelotti. Le désir d’embrasser cette carrière est venu progressivement. A partir du moment où il a su avec certitude qu’il voulait entraîner, il a mis beaucoup d’application et de professionnalisme dans ce qu’il faisait. Zidane ne fait jamais les choses à moitié. Il veut pleinement réussir dans son métier, et il sait se donner les moyens pour y parvenir. Il s’est notamment mis en situation, et en danger, en commençant par travailler avec les jeunes de la Castilla. Ce n’était pas évident. Mais pour moi, c’est précisément ce qui a permis l’éclosion du grand entraîneur qu’il est aujourd’hui.
Vous avez été un personnage-clé sur son parcours. En tirez-vous une fierté personnelle ? (Il hésite) Yazid, c’est une très belle rencontre pour moi. C’était cocasse de les retrouver lui et David Bettoni, son adjoint, après toutes ces années, dans le cadre de cette formation. C’est un heureux hasard. Est-ce que j’en tire une fierté personnelle ? Non. Comme il y a 30 ans, j‘ai juste veillé à l’accompagner du mieux que je le pouvais, comme je le fais avec tous les autres futurs entraîneurs. Mais je l’admets, j’ai un attachement particulier pour lui. On a une certaine complicité.
Comment se comporte Zinedine Zidane avec vous ? Est-il aujourd’hui le même avec vous que celui que vous côtoyiez en club il y a 30 ans ? C’est devenu un homme épanoui, mais avec la discrétion qui le caractérise. Zidane ne parle jamais pour ne rien dire. En cela, il n’a pas changé. Mais sa carrière, les rencontres qu’il a pu faire lui ont forcément apporté et l’ont fait évoluer. C’est quelqu’un de très riche humainement et professionnellement.
Le voyez-vous toujours comme un élève ? Non ! (Rires) Je crois qu’aujourd’hui, Zinedine Zidane a plus à m’apprendre que l’inverse, même si par expérience, je dois maîtriser un peu plus les bases que lui. Mais avant de devenir un maître, Zidane a été, c’est vrai, un apprenti, au sens noble du terme. Il a fallu apprendre. A la Castilla il a vraiment connu des moments difficiles. Mais il fallait en passer par là, comme tout le monde. Un entraîneur, c’est comme un enfant : il doit savoir tomber pour pouvoir se relever. J’ai été un observateur privilégié de cela. Mais aujourd’hui, Yazid donne vraiment le sentiment qu’il a un destin hors normes. Il l’a eu en tant que joueur, et on est en train de voir qu’il l’a aussi en tant qu’entraîneur. C’est incroyable, moi je rêve les yeux ouverts.
Joueur, était-ce prévisible qu’il allait avoir la carrière qu’on lui connait ? Je mentirais si je disais cela. Yazid était un garçon doué techniquement, mais qui avait aussi beaucoup de choses à apprendre… Par exemple, quand on n’avait pas le ballon, il n’était pas vraiment performant ! Mais il a appris, grandi, et parfaitement su se nourrir de toutes les rencontres qu’il a faites, et il est devenu le joueur qu’il a été. C’est quelqu’un qui s’est forgé au fil du temps et qui a beaucoup donné de sa personne pour arriver à ce destin incroyable.
Quelle est sa plus grande qualité ? L’écoute. C’est un auditif. Il absorbe et transmet. Il reçoit et redonne. Sur un terrain, c’est quelqu’un qui a toujours merveilleusement bien fait jouer les autres. C’est assez rare comme type de joueur. Le Zidane entraîneur est-il différent du Zidane joueur ? Je me rappelle avoir lu dans la presse qu’il souhaitait être un entraîneur différent... C’est vrai que la relation qu’il a avec ses joueurs est assez particulière. C’est très horizontal. Les qualités humaines et relationnelles qu’il a sont rares chez d’autres entraîneurs. Au-delà de l’aspect relationnel, il a une parfaite connaissance du moment. Il a tout vécu, il connaît le club comme sa poche, c’est un environnement qui lui est familier. Je crois qu’il aurait eu plus de difficultés dans un club qu’il ne connait pas, ou d’un standing inférieur.
Vous qui avez de l’expérience, est-ce globalement plus dur d’entraîner une équipe du standing du Real Madrid ? Plus vous montez dans la hiérarchie, plus c’est dur d’entraîner. C’est la logique. Certes, on pense qu’on a de meilleurs joueurs, et qu’ainsi on va avoir d’avantage de solutions pour résoudre les problèmes sur le terrain… En réalité, gérer un groupe d’un club du standing du Real, c’est de la chirurgie microscopique. C’est très difficile. Entraîner le Real est plus dur que n’importe quel autre club. Sauf pour Zidane. Si Yazid avait pris un club lambda, il aurait eu les difficultés que rencontre tout entraîneur. Il s’en serait sans doute sorti, mais il n’aurait pas eu l’immense succès qu’il a avec le Real Madrid. Pour que ça marche, un entraîneur doit être au bon endroit, au bon moment. Je savais que c’était le bon endroit, même si ce n’est pas facile. Le Real, Zidane le connaît mieux que personne. Il a de très bonnes relations avec le président, avec les joueurs, avec les fans… Par contre, le bon moment, je ne savais pas. Mais je pense avoir eu la réponse !
Le passage de joueur à entraîneur n’est pas évident. Vous l’avez-vous-même expérimenté. On a connu de grands joueurs qui n’ont pas forcément fait de grands entraîneurs… Yazid a compris que sa carrière de joueur ne suffisait pas, et qu’entraîner est un autre métier, que cela ne s’improvise pas. Pour éviter les écueils, il a pris les choses par ordre : il a observé, étudié, fait sa formation, passé des diplômes… et commencé avec les jeunes du Real. Ça, c’est la clé. Là où beaucoup d’anciens joueurs pensent qu’ils n’ont pas besoin de commencer par le début, grâce à leur expérience du terrain, Zidane a su avoir l’humilité de démarrer de zéro. En Italie, on ne peut être entraîneur que s’il l’on passe trois ans à la formation. Je pense que c’est une bonne chose. Pep Guardiola a pris l’équipe B du Barça avant de s’aguerrir, et devenir l’entraîneur qu’il est aujourd’hui. Même chose pour Luis Enrique. Au contact des jeunes, on grandit, on apprend, on se trompe, on évolue, on acquiert des certitudes...
Y’a-t-il du Lacombe en Zidane ? (Rires) Il y a surtout du Capello, du Ancelotti, du Lippi… A la limite, quand il est arrivé à la Castilla, peut-être a-t-il eu des réminiscences du Lacombe de Cannes, notamment pour ce qui est du jeu sans ballon, sur lequel j’ai beaucoup insisté avec lui… Mais j’imagine qu’il a globalement beaucoup plus travaillé et appris en Italie qu’avec moi ! Allez, il y a un peut-être un millionième de Lacombe en Zidane, car de toutes façons, toutes les rencontres qu’il a faites l’ont enrichi d’une façon ou d’une autre, je suppose. Est-il votre favori pour le Prix de l’entraîneur de l’Année 2016 ? Oui, ça parait être le favori. Il enchaîne les records, il a gagné la Ligue des champions, il est arrivé au Real dans une situation qui n’était pas si facile que ça. Les résultats étaient moyens. Il fait un parcours excellent en championnat, en revenant à un point du Barça. Et puis il semble qu’il confirme. C’est vrai aussi que ce qu’a fait Claudio Ranieri avec Leicester, c’est superbe. C’est un formidable pied de nez aux grosses écuries. Mais ce qu’a fait Yazid, c’est fort, très fort. Et sur un plan sentimental, je préfèrerais que ce soit lui quand même (sourire) !
Si vous deviez lui donner un conseil aujourd’hui… Je lui donnerais le conseil que j’ai entendu et écouté de de tous les grands entraîneurs que nous sommes allés voir lors de la formation BEPF : Guardiola, Bielsa, Allegri, Ancelloti... Tous ont donné le même aux futurs entraîneurs : "Restez vous-même !" Et c’est vrai que c’est au fond de vous que tout se passe. Je lui dirais "continue d’écouter la petite musique qui est en toi". Chacun a son potentiel, chacun sa méthode... la sienne a l’air de marcher plutôt bien !