lundi 08 février 2016, 14:54

Le Klassieker sauce hollandaise

De Klassieker. C'est ainsi que les Néerlandais nomment chaque rencontre entre l'Ajax et Feyenoord, les deux clubs les plus populaires d'Amsterdam et de Rotterdam, respectivement. Des livres, des articles et des essais philosophiques ont été écrits sur la passion qui sous-tend ce grand rendez-vous du football batave. Les supporters des deux formations n'hésitent pas à comparer ce match au traditionnel Real Madrid - FC Barcelone. Mais pour l'anecdote, le dernier Klassieker en date s'est déroulé en même temps qu'un autre clasico, Marseille-Paris, ce 7 février.

Et pour ce premier rendez-vous de 2016, ce sont les joueurs d'Amsterdam qui ont marqué des points, des buts et les esprits en s'imposant 2:1 ! Amin Younes et Riechedly Bazore ont trompé la vigilance d'un Kenneth Vermeer conspué, ayant été formé à l’Ajax mais ayant rejoint les rangs de l’ennemi. Jens Toornstra a réduit l'honneur pour Feyenoord.

Comme on peut s'en douter, De Klassieker est bien plus qu'un match de foot. C'est un choc entre deux villes culturellement et socialement très différentes. Feyenoord a toujours été considéré comme le club des dockers du sud de Rotterdam, qui soit dit en passant possède le plus grand port d'Europe. Cette origine ouvrière a conféré au club des valeurs basées sur le travail et l'union. Les joueurs légendaires, dans l'esprit des supporters, sont Coen Moulijn, Wim van Hanegem ou encore Paul Bosvelt, qui ont tous en commun une volonté et une combativité hors normes. Deux qualités emblématiques de Feyenoord.

On dit souvent qu'en football, les Néerlandais sont un peu les Brésiliens d'Europe. Si tel était le cas, et que l'on filait la métaphore, alors Rotterdam serait São Paulo, tandis qu'Amsterdam, ville cosmopolite par excellence, serait plutôt l'alter ego de Rio de Janeiro. Selon le poète Jules Deelder, lui-même de Rotterdam, "le pays gagne de l'argent à Rotterdam, le partage à La Haye, et le jette par les fenêtres Amsterdam". Si l'analogie n'est pas flatteuse pour tout le monde, elle a au moins le mérite de refléter fidèlement un sentiment fortement répandu chez les supporters de Feyenoord.

Ces derniers ont tout pour être fiers de leur équipe : 14 championnats des Pays-Bas, 10 Coupes des Pays-Bas, deux Super Coupes des Pays-Bas, deux Coupes de l'UEFA et, en 1970, une Coupe d'Europe des Clubs champions et une Coupe intercontinentale. Tout, ou presque. Le seul problème avec le palmarès de Feyenoord, c'est… celui de l'Ajax : 33 championnats des Pays-Bas, 18 Coupes des Pays-Bas, une Coupe Intertoto, huit Super Coupes des Pays-Bas, trois Coupes d'Europe des Clubs champions, une Ligue des champions de l'UEFA, une Coupe d'Europe des Vainqueurs de Coupes, une Coupe UEFA, trois Super Coupes de l'UEFA et deux Coupes intercontinentale. Fin de la liste.

Pas de mots, seulement des actesLa rencontre de ce dimanche avait lieu à Amsterdam, dans la moderne "Amsterdam Arena", bâtie en 1996. L'enceinte a la particularité d'être la plus grande au pays des Tulipes, dépassant de quelques millier de sièges son "dauphin"... le Feyenoord stadium, plus connu sous le nom de De Kuip ("la cuvette"). Les fans de l'Ajax sont les premiers à reconnaître que le Kuip reste tout de même le stade le plus intimidant du royaume, en raison de l'extrême proximité du public par rapport au terrain. Il n'est d'ailleurs pas rare d'entendre dire que l'endroit a été conçu par les supporters… pour les supporters. En effet, l'enceinte a été construite dans le cadre d'un projet d'aide à l'emploi, alors que la crise économique des années 1930 faisait des ravages. Initiative peu banale, mais qui illustre parfaitement le slogan du club : Geen Woorden Maar Daden ("Pas de mots, seulement des actes").

A la veille du Klassieker de ce 7 février, avec 15 victoires en 22 sorties et des individualités comme Anwar El Ghazi, Jarkadiusz Milik et Davy Klaassen, les Amstellodamois étaient favoris. Troisièmes à 13 points de leurs rivaux avant ce match, Dirk Kuyt et ses coéquipiers parcouraient les 70 km qui les séparent d'Amsterdam avec davantage de pression. Sans compter que les statistiques parlaient assez largement en faveur des Godenzonen ("les fils de dieu"), qui totalisaient à ce jour 79 victoires, 53 défaites et 43 nuls dans l'ensemble de leurs confrontations avec l'ennemi juré.

Les Ajax - Feyenoord sont souvent des matches passionnants, même pour les spectateurs neutres. Un 29 novembre 1964, c'est-à-dire un peu plus de 42 ans après la première rencontre entre les deux équipes, les Rotterdamois l'emportent 9:4. Puisque la vengeance est un plat qui se mange froid, l'Ajax attend jusqu'en 1983/84 pour rendre la monnaie de la pièce, sous la forme d'un cinglant 8:2. Mais les coéquipiers de Johan Cruyff (venu terminer sa carrière dans le club de ses débuts) déchantent vite, en s'inclinant ensuite 4:1 au Kuip, avant de laisser Feyenoord filer vers un doublé coupe - championnat.

Seule ombre au tableau de ces classiques souvent riches en buts : les incidents parfois très violents qui éclatent régulièrement entre groupes de supporters. Heureusement, la situation s'est légèrement améliorée au cours des dernières années. Faut-il attribuer cela au respect tacite qui existe entre les deux camps ? Peut-être, si l'on en croit cette formule trouvée sur l'un des sites internet pro-Ajax : "Quelqu'un que vous méprisez vraiment ne sera jamais votre rival".