jeudi 20 mai 2021, 14:19

Ils ont fait des pieds et des mains

Rien n'empêche le gardien de but de sortir de sa surface pour se comporter comme un joueur de champ. Le gardien de Liverpool Alisson Becker en a fait la démonstration ce 16 mai contre West Bromwich Albion en marquant de la tête, sur corner, à l'ultime minute du match pour permettre aux Reds de décrocher une précieuse victoire en championnat. En revanche, pour qu'un joueur enfile les gants et se retrouve entre les poteaux, il faut souvent des circonstances exceptionnelles en l'occurrence la blessure ou l'exclusion du portier titulaire, alors que l'entraîneur a effectué tous ses changements.

Pour sa rencontre de Copa Libertadores face à Sante Fe de ce 19 mai, River Plate était privé de pas moins de 20 joueurs et d'une partie de son staff, tous infectés par le Covid-19. Seuls 11 joueurs étaient disponibles pour cette rencontre, et parmi eux aucun gardien de but "de profession" ! L'entraîneur des Millonarios Marcello Gallardo a ainsi titularisé dans les buts son milieu de terrain Enzo Perez, 35 ans... et celui-ci est devenu le héros d'une rencontre folle, remporté par les Argentins 2-1.

FIFA.com a déniché quelques autres exemples marquants ce ces joueurs capables de faire des pieds et des mains.

À tout seigneur, tout honneur : notre tour d'horizon débute avec le Roi Pelé. En 1963, l'attaquant de Santos remplace le gardien Gylmar, exclu à cinq minutes de la fin d'un match contre Grêmio. Un peu plus tôt dans la rencontre, O Rei a signé un triplé. "Il portait un maillot noir à manches longues. Il a réussi quelques parades. En tout cas, il a conservé notre avantage. Il aurait fait un bon gardien. On aurait dit qu'il pouvait voler", raconte son partenaire Pepe, auteur du but de la victoire (4-3) d'O Peixe.

Niall Quinn fait une expérience similaire en avril 1991. Ce jour-là, l'attaquant irlandais donne l'avantage à Manchester City contre Derby County. Mais peu avant la pause, il doit se résoudre à enfiler les gants pour pallier l'exclusion de son gardien Tony Coton. Auteur d'une parade décisive, il multiplie les interventions au cours de la seconde période, contribuant ainsi largement à la courte victoire (2-1) des Citizens.

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Felipe Melo a, lui, arrêté un penalty. En 2012, le Brésilien de Galatasaray se retrouve dans le but, suite au carton rouge reçu par Fernando Muslera. L'exploit réalisé dans le temps additionnel scelle la victoire (1-0) de l'Aslan sur Elazigspor. Agustin Pelletieri, milieu de terrain du Racing Club, signe une performance identique contre San Martin de San Juan. Le gardien de fortune permet ainsi à son équipe de l'emporter 3-1. Au coup de sifflet final, l'intéressé se garde bien de tout triomphalisme : "Je n'avais encore jamais joué à ce poste, sauf à l'entraînement, pour le plaisir. Est-ce que je suis un héros ? Pas du tout !"

A en croire le propriétaire de Ludogorets Kiril Domoustchiev l'ancien défensueu Cosmin Moti lui en est un ! Car si les Bulgares de Ludogorets sont allés chercher leur victoire face au Steaua Bucarest le 27 août 2014 aux penalties, ils le doivent en grande partie à leur défenseur central. Obligé d'enfiler les gants après que son gardien Vladislav Stojanov a été exclu après un deuxième carton jaune à la 118ème minute du match, le Roumain a stoppé deux penalties lors de la séance fatidique tout en inscrivant le sien, permettant à son club d'atteindre la phase de groupe de la Ligue des champions pour la première fois de son histoire. "Nous sommes en train de construire un nouveau stade à Razgrad et une des tribunes portera le nom de Moti. Ce n'est pas seulement un héros pour Ludogorets, mais pour toute la Bulgarie", annonçait Domoustchiev après coup.

Renato Gaúcho s'est lui aussi illustré dans cet exercice. Dans le cadre de la Copa União 1988, l'attaquant de Palmeiras supplée son gardien Armelino Donizetti Quagliato, dit Zetti. L'une de ses premières interventions consiste à repousser un penalty. Il récidive un peu plus tard, lors de la séance de tirs au but et tout ça sans gants ! Le Flamengo de Zico est battu...

Une pige de ce genre a valu un nouveau surnom à John O’Shea. En février 2007, Manchester United affronte Tottenham lorsqu'Edwin van der Sar doit quitter le terrain, victime d'une fracture du nez. Les Red Devils ayant déjà effectué leurs trois changements, le défenseur irlandais se dévoue. "C'est un très bon souvenir", plaisante l'intéressé. "En passant les gants, j'ai tout de suite demandé à Edwin s'il avait une prime pour garder sa cage inviolée. Quand il m'a répondu par l'affirmative, je lui ai dit que la moitié me revenait !" Impressionné par la performance de son joueur, Sir Alex Ferguson le surnomme The Cat. "En tant qu'entraîneur, je n'avais jamais vécu une situation pareille", confie le technicien écossais. "Joueur, je me suis retrouvé un jour dans le but. Nous avons perdu 4-0, mais j'ai réussi deux belles parades."

Malheureusement, ces anecdotes ont souvent pour origine des blessures plus ou moins graves. En octobre 2006, le match entre Chelsea et Reading ne dure qu'une minute pour Petr Cech. Victime d'un grave traumatisme crânien, le gardien tchèque portera tout le reste de sa carrière un casque de protection. Son remplaçant Carlo Cudicini officie dans le but des Blues jusqu'à ce qu'il se blesse à son tour, au début du temps additionnel. John Terry le remplace au pied levé. Le capitaine de Chelsea parvient à conserver la mince avance de son équipe (1-0), sans être réellement inquiété.

En septembre 1999, le match de Bundesliga entre l'Eintracht Francfort et le Bayern Munich est interrompu à deux reprises. Le gardien allemand Oliver Kahn est le premier à sortir, en raison d'une commotion cérébrale. Son remplaçant Bernd Dreher n'a guère plus de chance : touché aux ligaments croisés, il doit abandonner ses partenaires avant la fin du match. Alors que son équipe est menée 1-0, le milieu de terrain Michael Tarnat accepte de reprendre le poste. "J'avais déjà eu l'occasion d'enfiler les gants en équipes de jeunes", raconte l'homme aux 19 sélections. "J'étais très nerveux au début. Si l'Eintracht avait tiré plus souvent au but, j'aurais fini avec des cheveux blancs." Finalement, le Bayern l'emporte 2-1.

En 2002, le géant Jan Koller (2m02) réussit 20 minutes exceptionnelles dans le but du Borussia Dortmund face au club bavarois. Lorsque Jens Lehmann, le gardien du BVB, voit rouge, tous les remplaçants sont déjà entrés en jeu. Le Tchèque se dévoue et livre une performance qui lui vaut de figurer dans l'équipe-type de la semaine du magazine Kicker… au poste de gardien.

A Newcastle, en avril 1986, en l'absence de Martin Thomas, le titulaire habituel, David McKellar est aligné d'entrée contre West Ham. Malheureusement, une blessure à la hanche le contraint à rester aux vestiaires après la pause, alors que les Magpies sont déjà menés 4-0. Le milieu de terrain Chris Hedworth le remplace, jusqu'à ce qu'un choc le contraigne à quitter le terrain, victime d'une fracture de la clavicule. L'ailier Peter Beardsley reprend courageusement le flambeau, sans parvenir à empêcher la déroute (8-1) des siens. Auteur d'un triplé, Alvin Martin aura eu le plaisir de battre trois gardiens différents en une après-midi.

Il arrive parfois que de telles expériences tournent mal, comme Alain Giresse le confirmera. En mai 1982, Bordeaux s'apprête à disputer son dernier match de championnat en l'absence de son gardien titulaire, Dragan Pantelic, suspendu injustement selon le président Claude Bez. "A l’issue du dernier entraînement, Claude Bez entre dans le vestiaire et nous dit : 'Demain, à Nantes, nous jouerons sans gardien. Je sors du vestiaire, vous avez 20 secondes pour y réfléchir'", se souvient Gigi. "Il sort. On a à peine le temps de comprendre ce qui nous arrive qu’il rentre à nouveau et nous dit : 'Bon, c’est comme ça. Toi, Gigi, tu es capitaine. Tu seras le gardien.' On se regarde, un peu abasourdis..." Du haut de son mètre 63, le milieu des Bleus n'est pas vraiment à la hauteur de la tâche et encaisse cinq buts en une heure, avant d'être enfin remplacé par un autre joueur de champ, Marius Trésor. Bordeaux s'incline finalement 6-0.

De quoi miner le moral de Giresse et de ses coéquipiers ? Pas vraiment... "Franchement, cela ne nous a pas traumatisés. Et qu’on ne vienne pas me parler de manque de respect : le même jour, Metz, avec un vrai gardien, en a pris neuf à Saint-Etienne..."

France's Alain Giresse