lundi 15 mars 2021, 09:05

Nsame : "L’objectif des Lions reste toujours dans ma tête"

FIFA.com a rencontré l’attaquant camerounais Jean-Pierre Nsame. Meilleur joueur du championnat de Suisse lors des deux dernières saisons, il évoque sa situation en sélection, son parcours, ses objectifs et les joueurs qui l’ont inspiré.

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Jean-Pierre, vous avez été élu Meilleur Joueur de Super League pour la deuxième année consécutive. Avez-vous le sentiment de jouer le meilleur football de votre carrière ?

Je suis en progrès depuis que je suis ici, mais je n’ai pas la sensation d’être encore à 100%. À 27 ans, ce serait triste de se dire que je suis déjà à mon meilleur niveau. Mais actuellement, c’est le fruit de tout un travail qui a été fait avant par mon club formateur, les différents prêts par lesquels je suis passé, et les différents entraîneurs que j’ai eus. Ils m’ont tous apporté quelque chose, et aujourd’hui j’essaie de mettre tout ça en application, tout en trouvant mon propre chemin et je récolte certainement le fruit de toutes ces années de travail. Je suis actuellement très à l’aise, j’ai aussi plus d’expérience, par rapport à mon âge et aux différents matches que j’ai joués et ça me permet de pouvoir mieux envisager l’avenir et de savoir dans quel aspect j’ai encore à progresser pour être encore meilleur.

Avec deux titres consécutifs de Joueur de l’Année et votre niveau actuel, avez-vous un sentiment de revanche sur vos expériences passées, les clubs qui ne vous ont pas donné votre chance ou qui n’ont pas eu la patience de croire en vous ?

Pas du tout, je ne suis pas quelqu’un de revanchard. C’est comme ça, c’est la vie, et parfois il y a des gens, des entraîneurs, des clubs, qui se montrent plus patients que d’autres. Avec du recul je me dis peut-être que je n’étais pas prêt, tout simplement. Peut-être aussi qu’on ne m’a pas fait confiance. En aucun cas ce n’est pas une revanche. C’est le parcours de ma vie, de ma carrière qui est comme ça, et je suis content d’avoir su rebondir, rester concentré sur mes objectifs, sur ce que je voulais faire, et d’avoir eu le courage de prendre des décisions qui peut-être pouvaient surprendre pas mal de personnes. Mais c’étaient des décisions pour lesquelles j’étais en accord avec moi-même, et étant sûr de ce que je voulais accomplir. Je suis plutôt reconnaissant d’être passé par toutes ces étapes, et c’est ce qui me permet aujourd’hui, à ce niveau de ma carrière, de pouvoir aborder les choses de manière plus sereine, parce que j’ai aussi un peu plus de recul. Je sais d’où je viens, où je veux aller, et je me concentre sur chaque étape qui va me permettre d’y arriver.

Avec tout le respect que mérite le BSC YB, avez-vous été surpris ou déçu que des clubs des grands championnats européens n’aient pas encore fait les efforts pour vous recruter ?

Quand on est joueur, on rêve de jouer dans l’un des cinq grands championnats. Je ne suis pas déçu, parce que je m’efforce de voir la situation dans son ensemble. Aujourd’hui, le monde du foot est plongé dans une situation économique compliquée pour tout le monde. Plutôt que de me forcer à partir à tout prix, ce qui compte c’est de faire des choix qui sont en lien avec la personne que je suis. Je ne veux pas que ma carrière soit "virevoltante" parce que je ne suis pas cette personne. Je veux que ma carrière ressemble à la personne que je suis. Avec le Coronavirus, j’ai compris que la situation financière des clubs était compliquée. Il y a eu des approches, des propositions, donc c’est pour ça que je ne suis pas déçu. Plutôt que de me mettre en tête de partir tout de suite à tout prix, je sais que j’ai de très beaux objectifs avec Young Boys. Je sais ce que j’ai ici, je sais ce qu’on joue. Et dans une carrière, ce sont des objectifs très beaux à jouer. Alors est-ce que c’est mieux de partir dans un club des cinq grands championnats, qui va peut-être proposer beaucoup plus d’argent, mais d’être relégable ? Ou rester une année de plus, continuer à faire ce que je sais faire, à être performant ? Ça m’a permis de prendre une décision très tôt et de me dire : si quelque chose doit arriver, je connais ma feuille de route. Mais si ça n’arrive pas, ce n’est pas grave. On verra dans l’avenir ce qui se passe, mais j’ai de gros objectifs ici qui me stimulent, donc plutôt que partir pour l’argent, je préfère rester pour le plaisir du foot et pour les objectifs qui m’attendent ici.

Jean-Pierre Nsame (Young Boys) celebrates with the trophy

Quels sont vos points forts en tant qu’attaquant, et dans quels domaines pouvez-vous encore progresser ?

Je peux progresser dans tout ! Je peux être encore plus efficace dans la zone de finition, plus présent dans le jeu. D’ailleurs, je regarde beaucoup Karim Benzema, sa manière d’être dans le jeu, d’être un point de référence dans les sorties de balle, sa justesse technique. Ce sont ces points-là où je peux encore, et où j’ai envie, de progresser pour étoffer encore mon jeu. Entre 27 et 31 ou 32 ans, c’est un âge où on se sent plus à l’aise, où on gère mieux les choses, où on sait exactement sur quoi on peut appuyer. Je peux marquer aussi un peu plus de buts de la tête. Concernant mes forces, j’ai progressé d’année en année pour être un bon finisseur dans la surface, pour avoir confiance dans mes gestes. Mon point fort, c’est dans la surface de réparation où j’arrive à bien me déplacer. Je suis aussi un joueur qui a un physique imposant, je résiste bien avec les défenseurs, je n’ai pas peur du duel, je suis capable de prendre la profondeur, de répéter des courses à haute intensité. Et mentalement, je suis fort dans la durée des matches, dans le fait de rester concentré, d’attendre toujours la situation idéale, être dans l’anticipation et sentir les coups. J’ai appris à développer ça notamment avec Guillaume Hoarau. Je le regardais beaucoup, et ça m’a permis de renforcer ces aspects de mon jeu.

À 27 ans, et avec votre niveau actuel, intégrer les Lions Indomptables et vous y installer durablement reste-t-il un objectif important ?

L’objectif reste toujours dans ma tête. Mais je suis simplement confronté à une situation qui ne me satisfait pas, dans les rapports, dans les choses qui se disent et les prises de position, sachant que tout avait été éclairci bien avant. Aujourd’hui en tout cas, je ne suis pas contre venir en sélection et voir comment ça se passe, si les choses sont arrangées. Il y a un nouveau sélectionneur, et j’ai eu des expériences qui se sont mal passées avec les anciens. Tant qu’on ne me parle que du terrain, les à-côtés ne m’intéressent pas. Donc envisager de venir, bien sûr. Dans un contexte où tout va bien.

Aucun attaquant n’a vraiment réussi à être titulaire indiscutable chez les Lions depuis quelques années. Est-ce le meilleur moment pour gagner votre place avec le début des qualifications pour la Coupe du Monde de la FIFA 2022 ?

Je me suis donné les moyens pour. La première fois, j’ai été déçu d’un prise de décision, mais que j’ai acceptée, de l’ancien sélectionneur Clarence Seedorf. Je m’étais donné les moyens pour être en position d’aller à la CAN 2019, j’avais fini meilleur buteur camerounais en Europe à ce moment-là, mais il a préféré faire un autre choix. Je le respecte, mais il ne m’a pas donné d’explication convaincante, puisque parmi les attaquants qui étaient là, j’étais celui qui marquais le plus. Maintenant, je continue à travailler, et je m’efforce de me mettre en position pour avoir la possibilité de m’imposer. Je répondrai présent. Mais les choix, les décisions, les histoires, ce n’est pas moi qui les contrôle…

Dans les qualifications, le Cameroun affrontera notamment la Côte d’Ivoire dans le Groupe D (avec le Malawi et le Mozambique). La première place se jouera-t-elle sur ces deux confrontations ?

C’est une grosse rivalité, du fait des époques anciennes de Didier Drogba et Amuel Eto’o et tous les grands joueurs de cette époque. Je me souviens, j’en parlais avec Roger Assalé avec qui j’ai joué. On aimait bien se chambrer sur cette rivalité. Je trouve ça bien d’avoir une rivalité entre ces deux grandes nations, et si tout va bien, la qualification va se jouer entre ces deux équipes. Mais je trouve un peu triste de n’en avoir qu’une seule qui se qualifiera. Ce serait bien d’avoir les meilleures équipes africaines à la Coupe du Monde, ça montrerait que le football africain est bien présent. Ça va être un match très intéressant, surtout si j’y suis et que j’ai l’occasion de croiser Roger !

Avec son passé en Coupe du Monde, le Cameroun a-t-il toujours la pression et quasiment l’obligation de se qualifier ?

C’est ce que le peuple camerounais attend de sa sélection. C’est une pression pour tous les joueurs. Au Cameroun, la sélection appartient un peu au peuple. J’ai eu l’occasion de le voir. C’est un peuple fanatique, extrême des deux côtés. Quand on fait un mauvais match, ils ne nous accueillent pas forcément avec les bras ouverts… (rires) Ils vont vous aimer comme des fous quand vous gagnez. Par contre, ils sont capables de vous détester comme des fous si vous perdez. Parfois on a l’impression qu’on n’a pas le droit de perdre. Alors que le foot est fait de victoires et de défaites. Mais le Cameroun doit se mettre cet objectif de toujours se qualifier pour la Coupe du Monde et de donner une bonne image du football africain.

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Parmi tous les buts que vous avez marqués, quel est le plus important à vos yeux ?

Tous ont une place ! Mais si je dois en sortir un, je dirais celui du 28 avril 2018, parce que c’est celui qui apporte le titre au club au bout de 32 ans. C’est un moment qui a été incroyable pour tout monde, et ce but marque le début de cette série qu’on est en train de faire, le titre qui a ouvert la voie aux deux autres qui ont suivi. Ce but reste un peu plus marquant que les autres.

Et quel serait le but de vos rêves ?

Je suis tellement adepte du beau jeu, que ce ne serait pas un but de moi seul. Un but collectif. Un but type tiki taka, où la construction est bonne, où les passes sont bien dosées, avec des remises, des déplacements, un mouvement harmonieux… Et plus personnellement, une frappe de loin à la Cristiano Ronaldo, comme il en faisait quand il était à Manchester ou au Real, et un ciseau comme il a fait contre la Juventus. Je vais commencer à essayer ça bientôt !

Enfin, quels joueurs vous ont inspiré et donné envie de faire ce métier ?

J’ai eu la chance de voir Cristiano Ronaldo jeune quand j’étais à Manchester à un match de Ligue des champions. Ce jour-là, il m’a donné l’envie de vouloir être comme lui. C’est ce qui m’a fait défaut quand je suis arrivé à Angers. J’étais très individualiste, je jouais sur le côté, où j’ai été formé et je voulais vraiment lui ressembler dans sa manière d’évoluer. En le voyant se développer, ça m’a motivé à me développer aussi, en voyant cette culture du travail, qui est devenue mon identité. Partout où je vais, j’arrive avec cette mentalité de travailler, d’être dans l’effort, et d’aller au maximum.

L’autre, ça a été Didier Drogba. Mais c’est tout un ensemble : le joueur, l’humain, la personne. Quand je l’écoute parler, c’est quelqu’un qui semble très posé, très humble, très calme. Et sur le terrain, c’était un redoutable attaquant. J’avais regardé un documentaire sur lui, et en voyant son parcours, je me suis un peu inspiré de la force qu’il a montrée dans les moments difficiles qu’il a rencontrés. Cela m’a ouvert des portes au niveau mental, et au niveau du travail pour que je me dise : "peut-être que je n’atteindrai pas le niveau où je veux aller, peut-être que oui, mais en tout cas, je pourrai me regarder dans la glace et me dire que j’ai tout mis en place pour le faire, et je n’aurai aucun regret."