Faruk Hadžibegić est sélectionneur du Monténégro depuis juillet 2019
Il a métamorphosé une équipe moribonde
Il évoque son travail, le tirage au sort de Qatar 2022 et son passé de joueur
Quand Faruk Hadžibegić est arrivé à la tête du Monténégro en juillet 2019, les Braves Faucons avaient le moral dans les chaussettes. Bonnet d'âne de son groupe dans les éliminatoires pour l'UEFA EURO 2021, la sélection nageait en pleine crise et il a fallu toute la patience et l'humanité du Bosnien pour remettre en ordre de marche ce petit pays, qui depuis quelques mois récolte les fruits de son travail et enchaine les bons résultats.
À tel point que, selon le technicien de 63 ans, le Monténégro est mûr pour se qualifier pour la Coupe du Monde de la FIFA, Qatar 2022, dont le tirage au sort pour la Zone Europe aura lieu ce 7 décembre. Pour FIFA.com, Hadžibegić évoque son travail avec la sélection, ses ambitions et son expérience de joueur à la Coupe du Monde 1990 avec la Yougoslavie.
Faruk Hadžibegić, dans quel état d'esprit êtes-vous arrivé au Monténégro, en juillet 2019 ?
Mes sentiments étaient partagés. Je revenais sur le territoire d'ex-Yougoslavie où les tensions politiques n'ont jamais cessé d'exister et où la situation de l'équipe nationale générait beaucoup de stress, de doute et de découragement. La complexité de la situation m'a fait me poser des questions mais mon amour du football et l'envie de retrouver mes racines a été plus forte.
Dans quel état d'esprit avez-vous trouvé l'équipe, qui enchainait à l'époque les contre-performances ?
L'équipe était déstabilisée par tous ces mauvais résultats, mais j'ai senti un groupe qui avait envie de sortir de cette situation. On avait besoin d'être ensemble, de discuter, de passer du temps sur le terrain. Tout le staff s'est remobilisé autour de l'équipe et aujourd'hui, nous avons un état d'esprit et une ambiance de travail extraordinaires.
Les résultats ont mis un peu de temps à venir...
J'ai beaucoup d'expérience donc je savais qu'il allait y avoir des moments difficiles au début, des sautes d'humeur… Il fallait que chacun se libère de la situation, et pas que sur le plan sportif mais aussi mentalement. Il y avait aussi des blessés, comme Stevan Jovetić qui est notre leader technique. On a tout eu d'un coup : crise de confiance, crise de résultats et blessures.
Quels objectifs vous ont été fixés par Dejan Savićević, Président de la fédération depuis 2006 ?
Il ne m'a pas donné d'objectif particulier, autre que celui de retrouver de la stabilité, de la confiance et un attachement à l'équipe nationale. J'ai joué avec lui et contre lui en Yougoslavie. Du premier au dernier jour de sa carrière, il était reconnu pour ses qualités aussi bien humaines que footballistiques. C'est le meilleur président que j'ai eu de toute ma carrière, en club comme en sélection. Il connait le football et ne parle que de ça et il dirige la fédération avec un état d'esprit familial, comme si c'était sa maison.
Le Monténégro ne compte que 600 000 habitants. Cela vous limite-t-il mécaniquement dans vos possibilités ?
Le réservoir de joueurs est forcément très limité quand on n'a que 100 000 licenciés, par rapport à l'Espagne, la France ou l'Allemagne où ils se comptent en millions. Mais on s'adapte. C'est une difficulté mais pas un problème pour moi. Quand l'équipe est au complet, ce qui n'est jamais arrivé depuis que je suis là, elle a sa chance contre n'importe quelle équipe.
Dans quel état d'esprit abordez-vous le tirage au sort des éliminatoires européens de la Coupe du Monde 2022, le 7 décembre prochain ?
Mon seul souhait pour ces éliminatoires, c'est de les aborder dans les meilleures conditions possibles, sans problèmes de blessures ou autres. Nous sommes dans une bonne dynamique. Nous verrons bien ce que va donner le tirage, mais je souhaite avoir un groupe excitant avec des équipes dans le top 10 mondial, avec des affiches qui exciteront les joueurs et tout le pays. Le Monténégro est un pays sportif, qui a la culture de la gagne.
Pensez-vous que le Monténégro soit mûr pour jouer une Coupe du Monde ?
Oui, sans aucune hésitation.
La qualification de la Bosnie-et-Herzégovine, votre pays d'origine, pour Brésil 2014 est-elle une source d'inspiration ?
J'ai participé à la reconstruction du pays et de la sélection après la guerre. Ils ont travaillé avec beaucoup d'intelligence et de courage. On analyse ce que font nos voisins et on avance patiemment. Il faut être ambitieux mais pas prétentieux. Mais je pense que le Monténégro est au début de quelque-chose d'extraordinaire.
Êtes-vous du genre à évoquer votre passé de joueur avec vos joueurs ?
Ah ça, jamais ! Je me l'interdis. C'est une autre période. Dire que j'ai joué avec Maradona, Platini, Matthäus, Butragueño… ça sert à quoi ? Ce sont des bons souvenirs que je garde pour moi, mais une expérience dont je me sers pour me mettre au niveau de mes joueurs aujourd'hui.
Quels souvenirs gardez-vous de votre parcours avec la Yougoslavie à la Coupe du Monde 1990 en Italie ?
C'était une expérience exceptionnelle. On a vécu une grande aventure pleine d'émotions. J'en ai des frissons rien qu'en y pensant. Mentalement et physiquement, j'étais au top. C'était une Coupe du Monde d'artistes. Baggio avec l'Italie, Higuita avec la Colombie, l'Espagne de Butragueño… il y avait beaucoup de qualités dans cette Coupe du Monde.
Quel retentissement ont eu vos performances en Yougoslavie, qui était alors au bord de la guerre ?
Nous avons toujours ressenti beaucoup de soutien de la part des supporters. Quand nous avons battu l'Espagne en huitième de finale, et sans aucune prétention, pour nous c'était tout à fait normal. Nous avions confiance en nous, nous avons respecté notre adversaire et nous avions la qualité pour les battre.
Ensuite, vous avez affronté l'Argentine en quart de finale. Que ressent-on, quand on est défenseur, à l'idée d'affronter Diego Maradona ?
Diego était un joueur exceptionnel. C'est un plaisir d'affronter l'un des meilleurs joueurs du monde, mais surtout après le match. Pendant le match, on n'a pas le temps d'y penser. On jouait les champions du monde en titre, donc on ne regardait que nous-mêmes. Mais j'ai vu que Maradona avait une attitude exceptionnelle, au service de son équipe et avec un très bon état d'esprit et beaucoup de respect pour nous. J'étais admiratif, mais concentré !
C'était le dernier match de la Yougoslavie sur la scène internationale, et vous avez manqué le dernier tir au but. Cela reste-t-il douloureux ?
Pour moi, ça reste un fait de jeu. Mon caractère fait que je relativise beaucoup les choses. J'ai des regrets car j'aurais préféré marquer. Mais aujourd'hui, tout le monde m'en parle et se rappelle de moi pour ce penalty. Il y a un livre qui est sorti dessus, un film… Avec la question : "est-ce que c'est mon penalty qui a déclenché la guerre ?" (rires). Je prends ça très tranquillement. J'ai fait 20 ans de carrière et tout le monde ne retient que ça. Mais je prends ça avec beaucoup d'amour, et d'humour. Je suis rentré dans l'histoire de la Coupe du Monde, et dans l'Histoire tout court, grâce à ce penalty (rires).