"C’est normal", avait jugé Luiz Felipe Scolari après avoir entendu son nom résonner dans les tribunes du Mineirão. Les supporters rendaient-ils hommage à un homme qui, 12 ans auparavant, avait conduit les Brésiliens sur le toit du monde ? Non. C’était "normal" car, selon Felipão, "le Brésil a 200 millions de sélectionneurs et ils pensent tous être meilleur que vous".
Le Brésil venait de perdre 7:1 en demi-finale de la Coupe du Monde de la FIFA™. Il en faut généralement beaucoup moins avant que les sifflets ne s’abattent. Carlos Alberto Parreira, qui a apporté à la Seleção son premier titre mondial après 24 ans d’attente, n’a pas échappé aux critiques. Pas plus que Dunga, son capitaine aux États-Unis. Le poste de sélectionneur du Brésil est, sans conteste, un cadeau empoisonné. "Avec n’importe quelle autre sélection, tout le monde est content si vous gagnez", expliquait ainsi Parreira lors de son dernier bail à la tête de la Seleção. "Avec le Brésil, il faut non seulement gagner, mais également marquer beaucoup de buts et jouer le plus beau football que les supporters ont jamais vu. C’est mission impossible."
Après une décennie pleine de frustration, l’un de ses successeurs semble néanmoins en passe de la remplir. Le nom de Tite a été scandé à de nombreuses reprises dans les mêmes travées du Mineirão, mais le public exprimait cette fois son euphorie plutôt que sa désillusion.
Le Brésil a gagné. Il a marqué des buts : trois à domicile contre l’Argentine pour la première fois depuis une victoire 3:1 en 2004. Il a développé un futebol qu'on ne lui connaissait plus depuis que Cicinho, Ronaldinho, Kaka, Robinho et Adriano avaient soulevé la Coupe des Confédérations de la FIFA en 2005. Même le très réservé Tite, qui reconnaît être gêné lorsque les supporters scandent son nom, n’a pas pu cacher sa joie. "Je ne vais pas faire dans la fausse modestie : je suis très content", confie celui qui avait créé la surprise face à Chelsea avec Corinthians, en finale de la Coupe du Monde des Clubs de la FIFA. "Je ne m’attendais pas à une victoire aussi large. Tous les matches de cette campagne sont difficiles et c’était l’Argentine en face."
Le modèle NBA Lorsque Tite a pris les rênes de la sélection en juillet, le Brésil ne pointait qu’au sixième rang du classement sud-américain, grâce à une meilleure différence de buts que le Paraguay, septième. Quinze points plus tard, sur 15 possibles, le voilà en pole position, uniquement talonné par l’Uruguay et avec sept longueurs d’avance sur le Chili, cinquième. La Seleção n’a concédé qu’un seul but lors de ces succès face à l’Équateur, la Colombie, la Bolivie, le Venezuela et l’Argentine. Elle en a marqué 15 dans le même temps et ne gravite plus uniquement autour du seul Neymar.
"Certains principes de jeu, que j’ai assimilés depuis longtemps, sont immuables", affirme Tite. "Les Cavaliers de Cleveland ont remporté le titre NBA la saison dernière sur une action défensive de leur plus grande star, Lebron James (un contre sur le joueur des Golden State Warriors Andre Iguodala lors du match décisif). Nous devons comprendre et valoriser le travail défensif", poursuit-il. "Neymar avec Pablo Zabaleta. Ce que Gabriel Jesus a fait pour laisser Neymar se reposer. Les deux sont à l’origine des deux premiers buts. Beaucoup pensent que si l’attaquant descend défendre, il n’aura plus l’énergie nécessaire pour repartir devant. C’est n’importe quoi. Il faut juste savoir compenser."
Sous la houlette de Tite, la poésie a supplanté le pragmatisme et le travail d’équipe a pris dans le même temps le pas sur l’individualisme, du moins sur le terrain. Dans les tribunes, les fougueux supporters brésiliens n’ont bien sûr pas pu s’empêcher de sortir un homme du lot : "Olê, olê, olê, olê. Tite, Tite."