jeudi 17 novembre 2016, 08:48

Pratto, le buteur qui vient de loin

"J’ai parlé à Lucas et je lui ai dit de ne pas oublier d’où il vient et tous les efforts qu’il a accomplis. Lui, il jouait sur des terrains où il y avait davantage de terre et de verre que de pelouse..." Ces paroles de Daniela Sivetti, avant le match capital de l’Argentine contre la Colombie dans les qualifications pour la Coupe du Monde de la FIFA, Russie 2018™, aident à comprendre pourquoi son fils, Lucas Pratto, buteur au sens aigu du sacrifice, plaît tant au sélectionneur, Edgardo Bauza.

Au point de le titulariser avec l’Albiceleste. Aux artilleurs du calibre de Gonzalo Higuaín et de Sergio Agüero, qui font partie des cinq meilleurs buteurs de l’histoire de la sélection argentine, Bauza a préféré cet attaquant de 28 ans qui n’a jamais fréquenté de grand club européen. "Ce n’est pas Messi. Messi est unique. Mais lui, il va se donner corps et âme pour le maillot argentin. Il a fait beaucoup de sacrifices pour en arriver là", a ajouté Daniela sur la chaîne Todo Noticias. Sa mère ne s’imaginait quand même pas que son fils allait recevoir une telle ovation de la part du stade de San Juan lorsqu’il a été remplacé par Higuaín en seconde période, après avoir inscrit le deuxième but argentin de la précieuse victoire 3:0 face aux Cafeteros.

Avant-centre au profil de renard des surfaces, Pratto était suivi de près par Bauza lorsqu’il entraînait Sao Paulo, avant de prendre les rênes de la sélection. Aussi n’a-t-il pas hésité à l’inclure dans sa première convocation, en août, puis à le titulariser lors des deux journées de qualifications de septembre. Après son baptême du feu face à l’Uruguay, l’attaquant a trouvé le chemin des filets au Venezuela. Lors de ces deux rencontres, Higuaín n’avait pas traversé l’Atlantique, avec l’accord de Bauza, et Agüero était blessé. De plus, l’Argentine occupait la troisième place du classement. Cette fois, la situation était différente. L’Albiceleste était à la traîne derrière le wagon des qualifiés et elle devait absolument s’imposer pour terminer l’année 2016 parmi les cinq premiers du classement.

C’est dans ce contexte difficile que Pratto a été aligné face à la Colombie. Malgré la pression, il s’est montré à la hauteur en inscrivant un but de la tête sur un centre de Lionel Messi. Ce même Messi qu’il regardait avec des yeux ébahis lors de sa première convocation puis après ses débuts face à l’Uruguay. "Je vois des photos du match et je n’arrive pas à réaliser que j’ai joué. Mais je crois que cette opportunité s’est présentée à un bon moment de ma carrière. Je compte bien en profiter", avait-il déclaré ce jour-là.

Chaussures bricolées Il faut dire que Lucas est conscient du chemin parcouru pour en arriver là. Il avait tout juste un an lorsque son père a quitté le foyer familial à Los Hornos, un quartier de La Plata. Daniela a ainsi dû s’occuper toute seule de lui et de son frère Leandro, de trois ans son aîné. Pour subvenir aux besoins de la famille, elle faisait des ménages.

C’est grâce à Leandro que Lucas a commencé à jouer au football, d’abord dans un club proche de chez lui car il n’avait pas l’argent nécessaire pour faire des essais à Estudiantes ou Gimnasia. Puis il a porté les couleurs de Cambaceres de Ensenada, un club de deuxième division. Lucas était alors un milieu de terrain efficace devant le but et doté d’un physique imposant, ce qui lui valait d’ailleurs quelques surnoms peu valorisants à l’école. Mais il s’en moquait.

"À Cambaceres, je devais m’acheter des crampons. Et comme on n’avait pas les sous pour des chaussures de marque, ma mère m’en faisait fabriquer chez un cordonnier, où ça revenait moins cher. Pour qu’elles soient assorties à la couleur du maillot, je les commandais blanches avec le logo rouge. C’était des fausses, bien entendu", racontait-il à El Gráfico en 2013. Comme l’argent ne coulait pas à flot, il a même fait la sécurité dans une boîte de nuit pour mettre du beurre dans les épinards.

Pratto a terminé sa formation à Boca Juniors, qui l’a recruté pour remplacer Martín Palermo. C’est dans le club xeneize qu’il est devenu attaquant, mais c’est à Tigre qu’il a fait ses débuts en première division. Après quoi, il est parti en Norvège, à Lyn, avant de revenir au pays sous les couleurs de l’Unión de Santa Fe et de réaliser un passage marquant sous les couleurs de l’Universidad Católica au Chili. Après un passage stérile au Genoa, en Italie, Pratto a explosé à Vélez Sarsfield, où il a signé 43 buts en 128 matches et remporté trois titres. "J’essaie de ne pas penser à la sélection", asurait-il dans les colonnes de La Nación, il y a à peine deux ans. "Mon problème, c’est qu’on a la meilleure ligne d’attaque du monde. Messi, Agüero, Icardi, Tevez, Higuaín... C’est très compliqué."

Arrivé à sa pleine maturité, Oso (l’ours) a relevé l’an dernier le défi d’aller jouer à l’Atlético Mineiro. Au Brésil, il n’a rien perdu de son efficacité. Il a même été question d’une convocation avec la Seleçao au cours de l’ère Dunga, mais cette rumeur est restée sans lendemain. Puis son nom est apparu dans la liste de Bauza, avec la suite que l’on sait. "Mon rêve, c’est de continuer à jouer pour l’Argentine", a-t-il affirmé avant le match contre la Colombie. Pratto semble mettre toutes les chances de son côté pour concrétiser ce rêve.