Les parrains du bonheur vénézuélien

Toc toc toc. On frappe à votre porte mais vous n’attendez aucune visite. Curieux, vous ouvrez, et un inconnu vous sourit, les bras chargés de cadeaux. Avouez que vous commencez d’abord par vous méfier, non ? Il y a forcément un piège quelque part. C’est exactement ce que se dit la Vénézuélienne Sandra Luzardo lorsqu’un beau jour, Dame Chance décide de lui rendre visite.

Elle prend l’apparence d’un international vénézuélien et, au lieu de frapper trois coups sur la porte d’entrée,  envoie un message sur son compte Instagram. "Bonjour, je suis Francisco Pol, j’ai joué pour la Vinotinto, et je joue aujourd’hui dans une équipe de seconde division en Grèce. J’aimerais bien être ton parrain et t’aider pour tout ce dont tu as besoin." Sandra se frotte les yeux et se demande si elle a bien lu. Sa réponse ? "Je ne te connais pas. C’est sérieux ou c’est une blague ?" Un coup d’œil au calendrier : on n’est ni le 1er avril, ni le 25 décembre, pas de poisson d’Avril ni de Père Noël. Un coup de fil à l’attaché de presse de la sélection pour vérifier : Francisco est on ne peut plus sérieux.

Au même moment, et sur le même réseau social, Dayana Rodriguez reçoit un message similaire de Meche Díaz Albertini, joueuse vénézuélienne exilée aux Etats-Unis. "Elle m’a envoyé un message, nous avons parlé et elle m’a dit qu’elle voulait m’aider, me soutenir pour que j’aie un meilleur avenir, Elle est Vénézuélienne comme moi, et comme il n’y a pas beaucoup de soutien au football féminin au Venezuela, elle veut aider et s’impliquer de son côté", raconte la milieu de terrain à FIFA.com.

Travail et sacrifices Les deux joueuses ne sont que quelques-unes des bénéficiaires d’un projet initié par l’international Christian Santos.  L’attaquant d’Alavès a décidé de parrainer la défenseuse U-20 Barbara Serrano après que celle-ci lui a écrit une lettre pour lui décrire les conditions difficiles du football féminin dans son pays natal, et du manque de soutien et de moyens dont bénéficient les joueuses pour vivre leur rêve d’imiter leurs idoles masculines. Touché, Santos a répondu en devenant le premier parrain d’une joueuse vénézuélienne, et en incitant ses coéquipiers de la Vinotinto à en faire autant.

Quelques mois après, Sandra et Dayana sont toutes les deux à Amman, un grand sourire aux lèvres, non seulement parce qu’elles sont qualifiées pour les demi-finales de la Coupe du Monde Féminine U-17 de la FIFA, Jordanie 2016, mais aussi parce que ces messages de soutien ont changé leur vie. "Quand j’ai su que c’était sérieux, on a commencé à parler, à se connaitre mieux. Je lui ai demandé quelques petites choses, il me répondait à chaque fois", raconte Sandra, qui s’est vite sentie en confiance. "Petit à petit, il m’a donné de plus en plus de conseils. Comme il est footballeur lui aussi, il me comprend bien. Il est toujours là quand j’en ai besoin. Il me dit que je dois travailler dur, faire les choses bien, m’imposer une discipline. Il me motive et me montre la voie."

Peu de différences avec la relation qu’entretient Dayana avec celle qu’elle décrit comme sa ‘Reine Mage’, si ce n’est un petit détail. "Moi, j’ai l’honneur  d’avoir une marraine. C’est la seule femme et c’est quelque chose de spécial", clame-t-elle fièrement. "Elle m’encourage, me conseille, me dit de ne jamais abandonner parce que les choses ne sont pas toujours faciles, mais qu’il faut faire beaucoup de sacrifices pour connaître le succès."

Outre ce soutien psychologique au quotidien, les bienfaiteurs apportent aussi une aide matérielle bien utile à leurs protégées, souvent issues de milieux difficiles. "Francisco m’a offert des crampons, des claquettes, des maillots, des t-shirts, des shorts : tout ce dont on a besoin pour jouer au football !", décrit Sandra, dont le visage s’illumine à l’évocation des colis qu’elle reçoit dans sa ville de Merida en provenance de Grèce. "La première fois que j’ai reçu un paquet à la maison, j’ai commencé à tout déballer, j’ai crié et j’étais folle de joie !", se souvient-elle en mimant la scène en agitant les bras dans tous les sens. "J’ai apporté en Jordanie les crampons et les protège-tibias qu’il m’a offerts. J’y fais très attention!"

"Ces cadeaux nous aident beaucoup et nous motivent  pour faire de notre mieux", ajoute Dayana, qui vit les mêmes moments lorsque les paquets de sa marraine terminent le trajet entre la Floride et la province de Guárico, l’une des plus pauvres du pays. "Si on continue comme ça, peut-être qu’on aura encore plus de cadeaux, non ?", ajoute-t-elle en riant de bon cœur, mais en pensant dur comme fer que son équipe a les moyens de battre la RDP Corée en demi-finale, puis de soulever le trophée.

Fournisseur de bonheur Cela rapprocherait un peu plus les deux joueuses de leur rêve : quitter leur quotidien vénézuélien pour évoluer dans un championnat étranger. "Il vit exactement ce que j’aimerais vivre. Il joue à l’étranger mais il a envie d’aider le pays, et j’aimerais faire comme lui, partir à l’étranger, connaitre une autre culture", confirme Sandra en décrivant la situation de Francisco, alors que Dayana décrit sa marraine comme "un exemple à suivre."

Sandra, justement, imitait déjà son parrain avant même que celui-ci ne débarque sur son compte Instagram. Et si elle profite aujourd’hui d’une aide bienvenue, elle sait aussi ce que c’est que d’être dans la peau du fournisseur de bonheur. "Dans mon quartier, il y a un terrain en bas de notre appartement, et il y a toujours des enfants qui jouent. J’essaie de faire des petits cadeaux à ceux qui en ont le plus besoin", confie-t-elle avec un sourire contagieux. "Parfois ils tapent à la porte et me disent qu’ils ont d’un ballon. Et tous les jours ils m’invitent à jouer avec eux. J’ai toujours essayé d’aider comme je le pouvais, et quand mon parrain est arrivé, j’ai pu comprendre ce que ressentent ces enfants quand je leur offre des cadeaux. J’ai les mêmes sensations qu’eux. Je remercie beaucoup mon parrain pour ça, parce que peu de monde prend le temps de s’occuper des autres."

Il y en a peu, mais il y en a quand même. Sandra et Dayana vous le confirmeront : la prochaine qu’on tape à votre porte, ouvrez la avec le sourire. On ne sait jamais ce qui vous attend derrière…