mardi 16 février 2016, 16:25

Bebeto : "Je suis toujours entré sur le terrain le sourire aux lèvres"

Reconnu pour son habileté et son sens du but, Bebeto est entré dans l'histoire en remportant la Coupe du Monde de la FIFA 1994. Sa manière de célébrer son but en quart de finale a même marqué toute une génération...

A l'occasion de son anniversaire le 16 février, FIFA.com vous propose de redécouvrir une interview quil nous avait accordée pour évoquer ses expériences en Coupe du Monde de la FIFA.

Sur les plans personnel et professionnel, que représente pour vous le fait d'avoir pris part à trois Coupes du Monde de la FIFA ? A mon sens, une Coupe du Monde représente tout simplement le summum pour un footballeur. C'était pour moi une responsabilité immense de représenter mon pays et de ne pas décevoir les 170 millions de Brésiliens qui nous suivaient. J'ai dû faire une croix sur beaucoup de choses dans ma vie pour pouvoir participer à ces Coupes du Monde (Bebeto a disputé trois Coupe du Monde de la FIFA et remporté une, en 1994).

Vous disputez votre première Coupe du Monde de la FIFA en 1990, en Italie. Quels souvenirs en conservez-vous ? J'ai malheureusement vécu des moments très tristes à cette occasion, c'est l'une des plus grandes déceptions de ma carrière. Je m'étais blessé à l'entraînement en jouant avec le gardien Ze Carlos, qui est un très bon ami, et ça m'a gâché la fin de la Coupe du Monde. Lors du match contre l'Ecosse, mon genou a beaucoup enflé et nous avons perdu le match suivant, contre l'Argentine. Nous avions très envie de remporter cette édition, mais la vie est ainsi...

La Coupe du Monde de la FIFA 1994 vous a rendu célèbre. Vous rappelez-vous votre premier match de la compétition, contre la Russie ? Pour ne rien cacher, je me souviens très précisément de toutes les rencontres de Coupe du Monde auxquelles j'ai participé. La Russie nous avait posé beaucoup de problèmes, mais nous étions très bien préparés. En plus, il y avait une vraie cohésion dans cette équipe, ce qui s'est avéré déterminant par la suite. Le groupe a travaillé très dur pour éviter de reproduire les erreurs d'Italie 1990.

Quel a été, selon vous, le meilleur match que vous ayez disputé dans cette épreuve ? Je pense que j'ai réussi à évoluer à un bon niveau dans tous les matches que j'ai joués avec la Seleção. Cependant, je me souviens tout particulièrement d'une rencontre très difficile, celle qui nous a opposés aux Etats-Unis le 4 juillet, jour de la fête nationale américaine. C'est au terme de ce match que j'ai compris que nous allions conquérir notre quatrième titre mondial. Leonardo, exceptionnel depuis le début de la compétition, a pris un carton rouge. Malgré ce coup dur, l'équipe a réussi à se remettre en selle. Ensuite, Romario m'a adressé un bon ballon et je me suis retrouvé tout seul face à Tony Meola, le gardien américain. Malgré son gabarit, j'ai trouvé un petit trou et j'ai réussi à envoyer le ballon au fond des filets. Ça faisait 1:0 pour nous... A la mi-temps, en arrivant aux vestiaires, j'avais trouvé Leonardo - avec qui j'avais démarré à Flamengo - sanglotant seul. Je lui ai dit de ne pas s'inquiéter et lui ai annoncé que j'allais marquer le but décisif. Les choses se sont passées comme prévu ! Lors de ce match, j'ai senti que Dieu m'avait aidé à me surpasser...

Certains estiment que vous avez été encore plus déterminant encore lors du match suivant, en quart de finale, face aux Pays-Bas. Que pouvez-vous nous dire à ce sujet ? Il se trouve que j'avais prié la veille, au coucher, pour avoir l'occasion de marquer et pour rendre hommage à mon fils nouveau-né, troisième de mes enfants et le seul dont je n'avais pu assister à la naissance. Pendant le match, l'opportunité s'est présentée d'une façon que je ne saurais qualifier autrement que de divine. Le ballon est venu jusqu'à moi alors que Romario venait d'éviter un tacle, mais il était très fatigué. J'ai donc contrôlé le ballon, effacé un défenseur, puis le gardien, et l'ai envoyé tranquillement au fond des filets. Lorsque j'ai marqué, j'ai pensé du fond du cœur à mon fils, en faisant mine de le bercer dans mes bras... En parler aujourd'hui me donne encore la chair de poule. Ensuite, j'ai remarqué que Mazinho et Romario faisaient de même, puis que toute l'équipe s'y était mise... Les choses se sont passées ainsi. Ça peut paraître incroyable, mais c'est le seul de mes enfants qui aime le football et qui est doué pour ça ! Il est passé par le centre de formation de Flamengo et a suffisamment de talent pour devenir un grand joueur.

Pensez-vous que la joie avec laquelle les Brésiliens célèbrent leurs buts concourt à rendre leur football si attachant ? Oui, bien sûr. J'ai toujours fêté mes buts avec beaucoup d'enthousiasme, car j'ai la chance d'être passionné par ce que je fais. J'ai commencé à jouer alors que je n'avais que six ou sept ans, et l'ai constamment fait dans la joie. Je suis convaincu que si l'on aime ce que l'on accomplit - quoi qu'on fasse - les chances de réussite sont toujours plus élevées. Je suis toujours entré sur le terrain le sourire aux lèvres, car j'éprouvais une immense fierté à arborer le maillot canarinho.

Vous étiez très proche de tous vos coéquipiers mais aviez avec Romario des relations privilégiées, n'est-ce pas ? Le risque d'une mésentente entre coéquipiers existe toujours, mais ce n'était vraiment pas le cas nous concernant. Notre entente sur le terrain était parfaite et nous a permis de tout gagner ensemble. Nous anticipions nos déplacements respectifs. Je le trouvais toujours très facilement sur le terrain et c'était pareil pour lui. Cependant, il serait injuste de ne parler que de Romario. En tant que paire attaquante de l'équipe nous marquions la plupart des buts, mais il ne faut pas oublier Taffarel, Jorginho, Aldair, Marcio Santos, Leonardo, Zinho, Dunga, Mazinho et Mauro Silva. Romario et moi n'aurions rien pu faire sans l'équipe ni le reste de la délégation, de l'intendant au kiné. Toutes ces personnes ont contribué directement au retour du Brésil au sommet du football, 24 ans après son dernier sacre.

Ce retour au premier plan s'est-il fait dans la douleur ? Le Brésil a toujours abordé les Coupes du Monde avec l'obligation d'aller au bout, et ça ne risque pas de changer. Evidemment, c'est une énorme responsabilité, que l'on ressent dès que l'on est sélectionné. A l'approche de la phase finale, nous avons commencé à ressentir une incroyable anxiété, liée aux échecs successifs de la sélection lors des dernières éditions. Ce sacre de 1994 a effacé toute la frustration accumulée par les Brésiliens, qui, du coup, ont beaucoup moins fêté la cinquième couronne !

Vous avez dit que l'équipe de 1994 était vraiment solide. En quoi différait-elle du groupe de 1990 ? Et qu'en est-il pour votre cas personnel ? En 1990, je pense que l'entraîneur Sebastiao Lazaroni a perdu un peu le contrôle de la situation. A l'époque, le fonctionnement voulait que tout le monde donne ses suggestions pour améliorer le jeu de l'équipe. Evidemment, chacun privilégiait son propre intérêt, ce qui n'était pas très positif. Personnellement, je pense qu'il appartient au sélectionneur de prendre les décisions et aux joueurs de les accepter... Dans mon cas, j'avais fini meilleur buteur de la Copa América et étais considéré comme le meilleur joueur des éliminatoires sud-américaines. Mais quand la phase finale a débuté, l'entraîneur a décidé de se passer de moi dans le onze initial. Il a préféré parier sur Muller et Careca, qui étaient de grands joueurs mais ne se comprenaient pas aussi bien que Romario et moi. Lors de mon premier match, contre le Costa Rica (Bebeto n'est pas entré en jeu pour le premier match face à la Suède), je ne suis entré qu'à quatre minutes du terme. L'équipe n'avait pas brillé, les deux attaquants non plus. Puis je me suis blessé avant d'intégrer le onze contre l'Ecosse tandis que Romario - qui n'était pas encore complètement remis de l'opération qu'il avait subie avant le tournoi - n'a pas très bien joué. Ensuite, contre l'Argentine, je n'ai pas joué et Romario n'était même pas sur le banc. Nous avons été éliminés.

Que diriez-vous de l'équipe de 1998 ? En 1998, nous avions une très bonne équipe. Sans rien enlever à la France, qui a joué un très bon football tout au long de l'épreuve, je pense que les choses se seraient passées autrement si Ronaldo n'avait pas eu ce malaise, à peine quatre heures avant le coup d'envoi de la finale. Cela a déséquilibré toute l'équipe, très inquiète pour son état de santé alarmant. Tout le monde courait dans tous les sens, Edmundo hurlait que Ronaldo était en train de mourir. Je n'aime pas trop repenser à ces moments-là. Je me souviens avoir dit au président de la fédération que sa santé était beaucoup plus importante que le football. Après son malaise - alors qu'il ne se souvenait de rien - le staff a décidé de l'envoyer passer des examens, il n'a donc pas participé à la causerie d'avant-match. Toute l'équipe était complètement sonnée, ça s'est ressenti pendant la rencontre. Nous avons pris deux buts sur des coups de pied arrêtés, ce qui est inadmissible en Coupe du Monde.

Selon vous, les Auriverdes n'étaient pas prêts, du point de vue psychologique, à gagner ce match ? Tout à fait. Dunga et moi avons essayé de motiver les joueurs, mais la tristesse se voyait sur leurs visages. Nous étions tous très préoccupés et découragés.

Revenons aux Etats-Unis, le 17 juillet 1994, pour la finale contre l'Italie. Quels sont vos souvenirs ? Ce match a vraiment été difficile. Je crois qu'il aurait pu être plus intéressant si l'Italie, fidèle au catenaccio, ne s'était pas limitée à défendre tout au long des 90 minutes. Leur objectif était d'aller aux prolongations, puis aux tirs au but ; ils y sont parvenus. Le Brésil est entré sur le terrain avec l'envie de décrocher cette quatrième étoile. Romario et moi avons tout fait pour essayer de débloquer le match. Nous avons offert du spectacle en nous créant des occasions. Je me souviens d'une action où Romario est passé devant moi alors que je donnais le ballon à Cafu. Celui-ci a ensuite envoyé un petit ballon dans le dos de la défense italienne, dans la course de Romario, qui a malheureusement manqué sa frappe. Il y a eu également une action impliquant Mauro Silva, dont la frappe était bien cadrée. Le portier italien, Pagliuca, a laissé échapper le ballon, qui est parti en corner. Viola a eu lui aussi sa chance lorsqu'il a effacé toute la défense italienne et a failli marquer. L'Italie a bénéficié d'une ou deux occasions, mais nous en avons eu beaucoup plus. Le destin a fait que j'étais le dernier tireur, mais je n'ai pas eu besoin d'intervenir parce que Roberto Baggio a raté sa tentative, nous offrant la victoire...

Comment vit-on le fait qu'une Coupe du Monde de la FIFA se décide depuis le point de penalty ? Quand la prolongation s'est terminée, nous étions tous vraiment épuisés et avions affreusement mal aux jambes. La chaleur était accablante. Mais nous nous étions aussi beaucoup entraînés. Je crois aux vertus du travail et de l'entraînement, je tirais 70 penalties par jour à l'époque : c'est pourquoi j'étais si confiant. J'ai même demandé à l'entraîneur Parreira de pouvoir frapper le premier tir au but, mais il préférait que je passe en dernier, parce que mon taux de réussite était très élevé. Celui de Marcio Santos l'était aussi, mais il a échoué.

Qu'avez-vous ressenti en brandissant le Trophée ? J'ai ressenti une joie incroyable au moment de brandir cette Coupe. J'ai été le premier à le faire lorsque le représentant de la FIFA l'a apportée au vestiaire. Quand on m'a pris en photo à cet instant, je portais le maillot de Baresi, l'un des plus grands joueurs qu'il m'ait été donné d'affronter. Il m'avait demandé d'échanger nos maillots, parce que son fils était fan de moi.

Est-il vrai qu'un joueur brésilien qui remporte ce trophée est quasi-déifié, tandis qu'il n'est plus personne s'il perd ? Oui, c'est un peu ça. Au Brésil, quand on porte le maillot canarinho, on a l'obligation de gagner ! Finir deuxième est synonyme de contre-performance. Cependant, pour nous joueurs, ou du moins pour moi, une deuxième place est déjà très importante. J'ai participé à trois Coupes du Monde et suis arrivé deux fois en finale. J'ai joué pendant cinq ans en Europe où les choses se passent différemment. Pour des pays comme l'Italie, la France ou l'Espagne, une place de finaliste est très importante, alors que pour le Brésil, c'est médiocre. Nous y sommes habitués, c'est dû à la passion infinie de nos compatriotes pour le football.

A-t-on le sentiment d'avoir accompli l'objectif d'une vie lorsqu'on vient de conquérir ce trophée ? Pour un footballeur, il n'y a rien de plus grand. J'ai également pris part aux Jeux Olympiques d'Atlanta et de Séoul. J'ai été champion d'Amérique du Sud et du monde avec l'équipe juniors et je suis international brésilien depuis l'âge de 17 ans. J'ai gagné tout ce qu'un joueur peut gagner avec son équipe nationale et je remercie toujours Dieu de m'avoir donné la chance de partager cette joie avec le peuple brésilien, qui a beaucoup souffert. J'ai sacrifié ou négligé des choses importantes pour arriver au sommet, mais si je devais le refaire pour donner ce titre au Brésil, je recommencerais sans hésiter. Cela n'a pas de prix.

Vous souvenez-vous des réactions du peuple brésilien à votre arrivée à l'aéroport ? Bien sûr, c'était complètement dingue ! Notre avion était peint aux couleurs du drapeau brésilien, pour être aisément identifiable. Nous nous sommes arrêtés à Recife, où nous avons été conduits sur la place de Boa Viagem. En chemin, tout le monde mimait le geste de bercer mon fils Mateus. C'était très émouvant de voir cette joie pure sur tous les visages. Partout où j'allais, les gens voulaient m'embrasser pour me remercier. Aujourd'hui encore, ils continuent de me donner leur affection et de perpétuer ce geste qui m'a rendu célèbre dans le monde entier, ainsi que mon fils d'ailleurs ! J'ai l'impression que c'était hier.

Si vous aviez la possibilité de garder l'un des trophées que vous avez remportés, lequel serait-il ? Rien n'est aussi important que de remporter une Coupe du Monde et tous les trophées que j'ai remportés sont très importants. Cependant, je pense que je choisirais le premier : le Championnat du monde juniors 1983 au Mexique. C'est là que tout a commencé. Dans l'équipe de 1994, Dunga, Jorginho et moi nous connaissions depuis cette épreuve au Mexique. Après tout ce temps passé ensemble, nous étions comme des frères. Aujourd'hui, ces gars font partie de ma famille. Ce premier titre est fondamental pour moi, qui débarquais de Salvador, de l'équipe de Vitoria, à Bahia. Pour un joueur du Nordeste, il n'est pas évident de se faire une place en équipe nationale...

Que ressentez-vous aujourd'hui en tenant le trophée de la Coupe du Monde de la FIFA entre vos mains ? Je suis parcouru de frissons, parce que, d'un coup, tous les souvenirs me reviennent, comme si c'était un film. Nous avons rendu le sourire au peuple brésilien. Il a fallu beaucoup s'entraîner, beaucoup travailler, mais on peut faire tous les sacrifices pour ce maillot.